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(mais pas grave !)

Aidez-nous à évaluer la qualité de nos services !

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par Karine Mazel
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Dans mon souvenir, ça a commencé dans les toilettes des aires d’autoroute, j’appuyais joyeusement sur « le petit bonhomme vert qui souriait », ou rageusement sur « le rouge qui faisait la gueule », un peu comme à la maternelle. Je n’ai pas perçu toute de suite la place délétère dans laquelle ce geste me mettait. Je n’imaginais pas être soudain transformée en « assistante en ressources humaines ».

Je devenais pourtant sans m’en apercevoir une sorte « d’indic » pour la direction : 57 rouges pour 43 verts = pas de prime, 43 rouges pour 57 verts = une prime pour le salarié en fin d’année. « Héééé attendez, non je voulais pas, je suis désolée, c’était pour jouer avec les enfants ! En plus ils ont fait une bataille rouges contre verts avec les boutons ! Noooon, pardon ! » Trop tard les chiffres sont partis, et déjà affichés sur l’écran de supervision.

C’est facile, les chiffres, ça n’a pas de conscience, c’est objectif, fiable, ça ne se discute pas !

Savoir que cette année-là les canalisations se sont bouchées dix fois, qu’un coprophile a sévi pendant un mois, que l’équipe d’entretien a été divisée par deux, et que la morosité générale a fait augmenter le nombre d’appuis-exutoires sur le bonhomme qui fait la gueule, est hors de propos.

La dictature souriante du « aidez-nous à améliorer la qualité de nos services », se fonde sur la surveillance et la délation des citoyens entre eux. On croit « aider », participer à l’amélioration d’un service, alors qu’on ne fait que sanctionner une personne.

Plus rien, ni personne n’y échappe. Le problème c’est que plus on remplit de questionnaires, moins on se parle, moins on se parle moins on pense, moins on pense plus on devient stupide et plus on est stupide… Ben oui, à force de penser en Questionnaires à Choix Multiples on va finir par manquer de mots pour articuler une pensée et l’argumenter. On coche ces cases « vite fait », comme si y on était obligé, et en obéissant parfois à un mouvement d’humeur. Ou on répond sans conviction, parce qu’on sent bien que ce qu’on aurait à dire n’entre pas dans les cases. Au pire on se lâche parce que la personne n’est pas en face, au mieux on force le trait en sens inverse. Mais en fait on n’est pas obligé, on devrait même boycotter.

Ces petits questionnaires souriant induisent que si il y a « insatisfaction », ça n’est pas de la faute de la direction et de son mode de management, mais celle de salariés mal organisés, incompétents, tir-au flanc ou fainéants. La responsabilité de l’entreprise s’efface insidieusement derrière celle du salarié. Heureusement, il y a Superauditeur et Supermanager pour les faire entrer dans le rang à grand renfort d’évaluation, d’optimisation, de rationalisation ou de « mesures incitatives ».

Un exemple (un vrai !) : une grande entreprise, ayant constaté une recrudescence d’arrêts maladies au cours de l’année, a offert un carnet de dix entrées à la piscine à ceux et celles qui n’avaient pas été arrêtés !

L’année prochaine il y aura un grand jeu-concours à celui qui aura passé le moins de temps aux toilettes ?!

Décembre frémit, les entretiens de fin d’année vont commencer. Il va falloir prouver qu’on « mérite ».


Rien de plus simple il suffit de compter : les résultats chiffrés, mais aussi la durée de la pause, le nombre de retards et d’arrêts maladies, de stylos rongés, de cafés consommés, de coups de téléphones personnels passés, de gouttes de sueurs versées, de sourires oubliés, de soupirs échappés, de coups de gueules, de coups de blues, de coups de froids, de coups de sang, de coups de pompes (de coups de foudre ?).

Pour être au top de la performance il faut gommer toute humanité. On scrute des chiffres, on veut connaître les résultats, on s’intéresse au « quoi et au combien », mais pas au « qui et au comment », ou alors seulement pour une meilleure adaptation du salarié aux exigences de l’entreprise.
Le « putain de facteur humain » doit plier : « pas d’affect s’il vous plait ! »

Seulement de l’affect il y en a, et c’est une vraie bombe à retardement. Alors l’entreprise propose des ateliers méditation, relaxation, yoga, biodanse, osthéopathie, etc. Il faut « gérer l’émotionnel », parce que non seulement les gens finissent par tomber malades, mais en plus ils se mettent à réfléchir, et ça c’est dangereux.

Tous les patrons ne sont pas des « bourreaux de salariés », mais il y a des méthodes dont il faudrait faire des confettis pour le bal du 14 juillet. Allez, encore un exemple !

Cet homme fait de l’accueil téléphonique pour un grand groupe N°1 de la pose de pare-brise. À chaque appel, il est tenu de respecter scrupuleusement le script imposé, quelle que soit la personne et la situation. C’est la procédure et elle a fait ses preuves. Et comment sait-on si il a dérogé au script ? Pour améliorer la qualité de nos services, cette conversation est susceptible d’être enregistrée… Cet homme témoigne : « Quand on n’est pas libre de ses mots pendant 8 heures d’affilée, on devient fou ». La liberté de parole comme espace d’humanité… La direction propose à ses équipes des séances d’expression corporelle et de team building entre collègues (voir documentaire ci-dessous)…

D’un côté on exige de l’être humain qu’il agisse et obéisse comme une machine et laisse à la porte de l’entreprise son avis sur l’organisation, mais aussi sa famille décomposée, sa voiture en panne, son mal de dos, sa déprime saisonnière ou son enthousiasme non communicatif, sa mauvaise foi, sa mauvaise haleine matinale et son caractère d’humain.

De l’autre on fabrique des robots qu’on voudrait de plus en plus humains, hypothétiquement capables d’intelligence et d’initiatives, mais débarrassés de tout ce qui « fait chier » ; c’est-à-dire tout ce qui constitue notre humanité, avec laquelle il semblerait qu’on ne veuille plus composer.

« Nasreddine avait un âne qui lui rendait de nombreux services mais qui lui coûtait beaucoup trop cher en nourriture à son goût. En discutant avec son voisin dont les affaires prospéraient, Nasreddine a découvert que celui-ci donnait moitié moins à manger à son baudet. Il s’est empressé de l’imiter, et comme l’âne a continué à travailler comme avant, les jours suivant il a encore diminué sa ration de nourriture. Jour après jour, économies après économies, un matin Nasreddine a trouvé son âne raide mort. Il s’est lamenté :

- "Pauvre de moi, quelle malchance, tant d’efforts pour apprendre à mon âne à se passer de nourriture, et maintenant il me lâche, quel gâchis !" »

Aujourd’hui on se croit plus malins : on offre des packs audios MP3 de méditations quotidiennes et on prend le temps d’expliquer aux ânes que ce régime est bon pour eux. On a bien recensé quelques cas d’ânes retrouvés pendus avec leurs écouteurs, mais ce sont des cas isolés qui ne concernent que des sujets fragiles.

Karine Mazel
lesmotstisses.org

voir : la mise à mort du travail
https://www.youtube.com/watch?v=n7LWLNR6F7I
Envoyé spécial « L’Exécuteur »
https://www.youtube.com/watch?v=d44RkdaXGE0



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2 commentaire(s)

combe 7 décembre 2018
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Céline Mazel Kpossou 6 décembre 2018

Exact, beaucoup de choses sont posées, ça ouvre le débat en tout cas, il y a tellement de choses à dire, je relayais ce matin même, avant de découvrir ton texte, cette image (oups je ne peux pas la mettre ici dommage) , une véritable illustration qui montre bien l’aberration de certaines organisations qui en demande toujours plus avec de moins en moins de moyen et qui poussent les gens au burn out ( ou pire dans l’exemple de l’âne de Nasreddine !! )

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