Hiver 23un poème d’Olivier Schneider

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Hiver 23
un poème d’Olivier Schneider

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par Olivier Schneider
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Les drames effrayants et insupportables qui se succèdent à vitesse accélérée partout dans le monde et depuis octobre 2023 au Proche Orient, obscurcissent douloureusement notre horizon et ils tournent dans la tête de notre ami poète Olivier Schneider. Six mois de pérégrination intérieure sur ces temps tragiques donnent naissance à ces mots, accompagnés de dessins de Caroline Bourdais...

Sabbat Caroline Bourdais

7 octobre 2023

LA HAINE

On la croyait désuète
Elle nous avait déçus
On pensait même qu’elle était des combats perdus
On lui trouvait de petits airs de rébellion
Ou de rage indocile
La haine était devenue
Une envie de victimes
Ou d’êtres irresponsables
Mais la voilà de nouveau
Dans la bouche des médias,
Des ministres, des chefs d’État,
La voilà la haine, revenue de voyage,
Toute fraiche, bien portante
Qui désigne du doigt
La haine désigne et nomme
Qui devra haïr ;
La haine décide
Du prix du sang
La haine dicte
L’étape suivante
Qui sera
Encore plus de haine
Car la haine se multiplie
De multiples petites haines,
Car la haine est terrible
Quand elle n’est plus à la victime,
Mais entre les mains
Et sur la bouche
Des responsables

Long, orange - Caroline Bourdais

Novembre

ET MOI L’EUROPEEN

Je n’ai pas tout à fait réussi à sauver la terre
J’ai laissé les voisins orientaux se bruler et se taire
J’ai vécu d’une rançon mal gagnée sur la misère du monde
On peut même dire que pour cela, j’ai fait des trucs immondes
J’ai désigné les ennemis j’ai donné des leçons
Je n’ai jamais oublié d’avoir toujours raison
J’ai laissé les uns partir
J’ai empêché les autres de venir
J’ai dit à tous qu’il n’y a plus d’avenir
Je suis humain d’une nation prospère
Je suis le rêve de certains, le repère
Et pourtant je ne suis qu’un humain sur la Terre

Décembre

LE GRAND BAL

Rappelez-vous
Nous, les franco-britanniques
Descendants des croisés
Philanthropes et virils guerriers mondains
Conquérants de la terre
En gants de soie et chapeaux mous
Nous, les vainqueurs en détruisant nos peuples
Beaux parleurs et champions d’artillerie
Bref nous, colons, et autres fous d’Orient,
Nous avons invité les Arabes de Syrie Jordanie aux chapeaux turques
Au grand bal des massacres et des crimes 
Conférences, trahisons et brimades
Pour plonger la Nahda (la Renaissance arabe)
Dans un flot de sang

Aux lendemains de la grève générale de 1936 en Palestine
Les villages paisibles des paysans lettrés
Ont payé du sang des innocents
Le prix d’une révolte oubliée
C’était une invitation
Au grand bal des crimes de masse
Le grand bal des massacres coloniaux
Suivi des massacres des opposants au Reich
Et le génocide des Juifs et des Tziganes d’Europe
Le grand bal, l’histoire et le Mythe
Qui ont fondé la paix et notre suprématie
Et vous y avez dansé à ce bal, triste victime
Le corps endolori et le front bas
Même si certains avaient aussi gagné à danser
Le luxe infini et les robes masculines
On récompense ceux qui dansent bien
On écrase et humilie ceux qui ne dansent pas
C’est la règle d’un bal sanglant
Aux accords dissonants

Qui n’a pas dansé à ce bal ?
L’Europe est à ce prix
On ne gagne pas le monde
Sans qu’il y ait des victimes
Et quoi de mieux si les victimes dansent entre elles 
La pire danse qui soit ?
Ainsi le Britannique Balfour a présenté le danseur à l’autre
Le sioniste au panarabe
Sur une musique bête
Et le Français, plus tard, a brisé le rêve d’un État arabe à Damas
Pour relancer la danse
Il ne fallait pas que les Arabes se posent et réfléchissent
Il ne fallait pas que les Juifs connaissent la paix et se rappellent
Il fallait que ces peuples dansent
Dans un bal ou chacun tient l’autre par le bras
Et lui écrase le corps
Ou chacune des pensées est envahie par la haine du partenaire
Car chacun pense que la danse ne s’arrêtera qu’avec la disparation de l’autre
Sans comprendre que c’est cela même qui crée le mouvement de la danse

Un bal écœurant des peuples
Et qui ravit ses maîtres
Un bal franco-britannique dont on perd le début
Pour qu’il n’ait aucune fin
Un bal, un bal enfin
Où les invités n’ont jamais su
Qu’ils y avaient été invités
Ils ont cru aux promesses
D’un royaume, d’un état, d’un foyer
Ils ont cru pouvoir un jour
Composer seul leur musique
Et danser en famille
Personne n’a pris la peine de leur dire
Qu’en vérité
Ce bal n’était pas le leur
Qu’il y avait été invité
Par erreur
Il ne devrait y avoir ni Arabe ni Juif
Dans cette histoire
Balfour, Laurence, le général Gouraud
Se sont trompés d’invités
Les danseurs c’étaient les nôtres
Nos fantômes, nos peurs et nos doutes
Les massacrés des tranchées
Nos peuples libres effacés
Nos espoirs assassinés
C’était le bal des absents
Des ombres manquantes

Le destin - Caroline Bourdais

Janvier

Réécrire le mythe
Car le mythe pue

Pourquoi ?
Parce que le peuple
Génocidé
Fondateur du mythe
Qui pue
Maintenant
A génocidé
L’autre peuple
Et que le monde entier
A approuvé d’abord, les premiers jours,
Et pour certains pendant plus de 3,6,8 mois
Ce génocide.
Ainsi le « plus jamais ça »
Est devenu
« toujours encore »
Et a tué le mythe
Notre mythe
Et tout s’est effondré
Les génocidés
Ont génocidés
Détruits un peuple retenu
Prisonnier
Détruit un peuple avec raison
Méthode
Et détermination
Détruit un peuple physiquement,
Moralement, culturellement,
Au nom de sa propre souffrance d’avoir été détruit physiquement, moralement, culturellement
Ce mythe-là est une boucle, inlassable,
Qui donne à notre humanité
L’aspect d’un rat,
Et à l’humain le rôle
De dératiseur
De lui-même
C’est pourquoi
Aujourd’hui
Ce mythe-là pue

Reconstruire le mythe c’est
Construire sur un tas de ruines
Ou bien non, car ce qui sera construit sera détruit ou s’effondrera
Alors, des ruines, regarder ce qui se construit :
Le renouveau possible
Laisser ce qui dépasse nous dépasser
Aucun peuple n’a pour
Destin
L’holocauste d’un autre
Peuple
Aucun peuple n’a pour destin
De raser la nature
Et le jardin n’est pas le passé
Mais le lendemain
Dieu n’a pas fait l’Homme
Pour détruire
Pour effacer, effacer
Selon son désir
Dieu a fait l’Homme
L’humain,
Pour rien.
N’étant rien lui-même
En fin de compte
Puisque tout a mal fini.

On clôt le mythe précédent,
Sur lequel tout tenait,
On le clôt ; terminé,
Et pour bien le clore,
On le remplace,
C’est la dure tâche du poète,
Parce que les autres ont mal fait leur travail.

Visages Caroline Bourdais

Février, mars

LA PYRAMIDE DE GUNUNG PADANG

Au temps le plus reculé de l’âme humaine, aux tous débuts de la famille humaine, quand il n’était pas question de cultiver ni de bâtir des forteresses, ni même de noter des lois ou de compter les impôts sur des tablettes, enfin tout avant ce qu’on connait de nous – eh bien en ce temps-là, un roi, car il y a toujours eu des rois, c’est-à-dire des hommes, ou des femmes, que l’on suit sans réfléchir – parce que quelque chose nous pousse à le faire – enfin donc, un roi a décidé de bâtir, ou plutôt de faire bâtir, un palais en un jour
C’est-à-dire un palais,
C’est-à-dire une histoire
C’est-à-dire une chose pour personne, mais fait par tous, pour rien, mais pour tout
Un palais en un jour, c’est-à-dire quelque chose qui mobilise tout le monde, qui unit tout le monde car dans l’effort d’un seul jour
C’est-à-dire quelque chose d’impossible, et pourtant de possible un jour
Imaginons qu’un milliard d’humains, ou que 6 milliards d’humains construisent la même chose en un jour, qu’elle taille cela ferait ?
Peut-être que ce roi voulait que tous, vraiment tous, ne travaillent, ne coopèrent qu’un seul jour
Et cela a pris 20 000 ans à se faire
Parce que pendant 20 000 ans l’humain a poursuivi cette tâche de se réunir pour tout construire en un jour
Et vers l’an - 1000, à peu près, l’humain a enfin vu le résultat, et il a laissé pousser la forêt
C’est-à-dire que depuis l’an -1000, l’humain a appris que cela ne servait à rien de vouloir construire un palais en un jour

Alors l’humain, partout, s’est divisé
Et de lassitude, a détruit inlassablement, chaque palais
Et l’humain à inventé la guerre pour aller plus vite
Et il s’est mis à construire et détruire quasiment en même temps
Car il n’a pas compris que ce que voulait ce roi
Ce n’était pas un palais
C’était… la paix.

Trinité - Caroline Bourdais

Avril…

ILOTS D’HUMANITÉ

Les ilots d’humanités
Qui restent
Nourris au compte-goutte
Par l’occupant
Inquiet
Avec les drones au-dessus de leurs têtes
Aux intentions
Machinales
Aux instructions numériques
Abstraites
Non ce ne sera pas la paix
Non pas cela !
Je ne parle pas de la paix qu’on nous prépare
Et qu’on nous réserve aussi à nous-mêmes
Dans quelque pays qu’on soit
Je parle de la paix
Qui arrive quand on se bat
Non pas, comme le 7 octobre, contre les acteurs innocents de la paix,
Non pas comme maintenant contre la peur et le désespoir
Quand on se bat pour faire tenir
Au-dessus de chaque ilot d’humanité
Conçu par la peur, la haine et la violence
Des autorités occupantes,
Le cerf-volant d’un enfant
Conçu du chiffon acheté en vendant les affaires du poète,
Refaat Alareer
Et de quelques bouts de bois
Tendu bien haut là-haut dans le ciel
Visible de tous les autres ilots du monde
Afin de désapprendre
Comme le disait Charlotte Delbo
« Qu’on ne peut pas parler aux autres »
Et son histoire
Comme son histoire
Toutes deux rattachées à un fil
Et une main maladroite
Celle de l’enfant qui retient,
Et qui construit une autre histoire :
La sienne.

Olivier Schneider.
Images : Caroline Bourdais



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