Ce pourrait être un cri que les enfants lanceraient au début d’un jeu ou une nouvelle onomatopée inventée pour manifester sa surprise, une variante fantaisiste du « hue dada ! » qui encouragerait un cheval de bois à partir au galop, un cri de ralliement qui réunirait un groupe secret...
Je m’interroge sur le titre en achetant mes places à la MJC de ma commune quelques jours avant la représentation. L’intrigue m’intrigue. J’ai pris deux places, pour moi et pour ma fille Lola bientôt 8 ans. Comme toujours on attend la surprise. À dessein je ne regarde aucune vidéo, je lis à peine le descriptif.
Ici point de grands textes revisités ou simplifiés. Deux trublions seuls en scène, perdus comme nous dans le monde, nous embarquent dans une narration simple, chorégraphiée, ponctuée par un univers sonore éclectique. Invitation pour qui veut dans la salle à une pérégrination au pays des dadas. Deux êtres qui cherchent à dessiner leurs trombines, à se représenter grâce au théâtre gesticulé et au hip-hop.
Etrange association Zoom et dada. Zoom, effet d’optique employé pour grossir ou réduire progressivement un objet dans le champ de la prise de vue ou de l’écran. Le zoom avant permet d’isoler un objet dans le décor ou d’insister sur un détail. Le zoom arrière permet la révélation du décor de la scène entourant l’objet en suscitant un effet de surprise ou de dramatisation. C’est exactement ce qui ressort des images que j’ai en tête quelques semaines après.
Deux zozos en panne d’inspiration pour dessiner et se dessiner partent à la quête d’eux-mêmes dans un parcours initiatique que le spectateur peut suivre. Ils s’observent, se scrutent, se jaugent de loin, de près. Investissent l’espace comme les minots qui traficotent avec leur schéma corporel.
Aller à la recherche de son moi profond c’est aussi toucher aux interdits, bousculer l’autorité. Fouiner pour trouver la liberté offerte par son corps, ses facultés à créer, imaginer, inventer toujours et encore avec son ciboulot pour se sortir de l’inextricable. Comme dans la vie. Non ?
Les deux personnages sans nom, qui ne parleront pas, forment des tableaux la tête à l’envers, des tableaux décalés, surréalistes. Ils dansent pour expérimenter leur corps. Leur dessin sera à leur image : un joyeux bazar, construction bringuebalante qui leur ressemblera, qui nous ressemble... Découpages d’images, montages photos, mouvements saccadés, fluides ou ralentis, entre jeux d’ombre et de lumière ils poursuivent leur identité, explorent les horizons comme deux gamins qui voudraient tout savoir du monde et cherchent à se construire avec leurs propres codes.
Les deux comédiens-danseurs zooment d’avant en arrière et de haut en bas pour donner forme à un geste artistique autour de rythmes saccadés ou lents, d’images arrêtées ou en cascade. Chorégraphie combinée à la manipulation d’objets divers, surprenants ou désuets, et à l’intervention d’images projetées, collées, superposées.
Dada juste comme ça ! Comme les dadaïstes qui choisirent cette terminologie au hasard en ouvrant un dictionnaire. Dada ça ne veut rien dire ? On peut donc ouvrir le champ des possibles. Interprétations à l’infini. Rien n’est servi sur un plateau.
Pour aborder ce thème de la désobéissance, de la spontanéité et de l’enfance, deux mouvements s’associent, dada et le hip hop. Aux premiers abords, deux époques, deux énergies aux antipodes. Pourtant quelque chose d’essentiel s’impose comme un socle commun : une réaction à un monde en train de s’effondrer. Deux mouvements, matière à se mettre en mouvement et ne pas se laisser enfermer dans des habitudes. 40 minutes durant, les deux danseurs comédiens zooment d’avant en arrière et de haut en bas pour donner forme à un geste artistique certes inouï, mais jamais sensationnel. À la fin je veux que la balade en pays dada dure encore, encore, encore. Lola aussi.
Ce n’est pas que pour les enfants. Ou alors j’ai 8 ans d’âge mental. C’est rassurant. J’ai gardé un tantinet mon âme d’enfant et apparemment pas devant des mièvreries. Lola et moi aurait-on la dada attitude ? Un dimanche matin, la salle de la MJC, 160 fauteuils, est à moitié pleine. Pari gagné. Cette maison c’est un peu la mienne, je la fréquente depuis l’enfance et j’y viens avec plaisir. Nous habitons tout près. Hasard de la vie ? Toute la famille pratique une ou plusieurs activités et s’épanouit dans l’Éducation populaire.
Ce matin-là pourtant, je suis troublée par autre chose. Il y a dans le public plusieurs de mes anciennes élèves avec leurs petites. J’ai l’impression que le temps m’échappe. On discute chaleureusement avant et après le spectacle. Heureuses de se retrouver là. J’étais toute jeune enseignante quand elles suivaient mes cours d’espagnol. Et si 20 ans après elles viennent avec leurs gamines c’est qu’elles aussi sont touchées par cette grâce et cette fantaisie. Je suis rassurée et émue. Dans la salle les familles sont conquises. Parents, grands parents avec des enfants de 3 à 10 ans. Des habitués, des petits nouveaux. Amusés, fascinés, attendris. J’entends des rires, des gloussements, des silences de la part des spectateurs jeunes et moins jeunes. Le public sort enjoué, visiblement plus léger qu’à l’entrée. On doit le reconnaître ; on ne cesse de construire notre identité protéiforme comme des gosses. Ce que j’ai préféré c’est le collage de morceaux de photos sur les visages des comédiens. Désopilants cadavres exquis en images.
Le parcours sonore joute avec cet univers sensoriel. Construit à partir de collages et superpositions, il est toujours en lien avec les deux mouvements artistiques. Ponctué de poèmes phonétiques de Raoul Hausmann et Bernard Heidsieck. Toujours dans le souci de provoquer des contrastes dynamiques, d’autres influences musicales viennent élargir la palette : Erik Satie, le rock expérimental de Portishead, de l’électro et quelques bruitages. La grande force du spectacle est de s’adresser à tout le monde sans prérequis. Si vous tentez d’expliquer le mouvement Dada de façon magistrale, à grand renfort d‘images d’archives cela peut générer un ennui mortifère. Là c’est mouvant, vivant, drôle, ingénieux. Pas de blabla sur dada. Rien. Rien d’autre à expliquer. Le spectateur est là pour ressentir, non intellectualiser. Par ces temps obscurs de règne de la pensée formatée, on n’a jamais autant eu besoin de la fantaisie et l’impertinence dada. Je change de ton. Malgré ces douces paroles, j’ai un coup de gueule.
J’ai appris par la chargée des relations publiques de la MJC que Zoom dada est loin de faire l’unanimité dans le corps enseignant. Certains venus avec des classes pour des séances scolaires n’ont pas apprécié ce spectacle « qui ne veut rien dire, n’a aucun sens, ne va nulle part, est ennuyeux, n’a ni queue, ni tête ». J’ai envie de leur crier comme Père Ubu : « Merdre ! C’est normal c’est l’esprit dada ! »
Pourquoi toujours tout expliquer aux enfants ? Le demandent-ils ? Le spectacle doit-il être utilitaire, transmettre un message ? Doit-on systématiquement utiliser un langage concret et pragmatique ? Quand ils vont au spectacle, eux, ils savent s’émerveiller, ouvrir grand les mirettes et saisir ce qui passe sans donner un sens profond à tout propos. Pas besoin d’une longue histoire linéaire. La fragmentation d’un récit, l’incitation à la spontanéité et à briser le cadre est un excellent terrain pour les jeunes esprits et encore plus pour les autres déjà corsetés. Une représentation de Zoom dada suffit à le rappeler. Un public accepte volontiers d’être déstabilisé et remué quand la créativité est vive et fine.
J’envoie cette bouteille à la mer aux profs des écoles. Trop souvent une sortie dite « pédagogique » a un objectif précis, elle se doit d’être intellectuellement rentable. Il faut que la thématique colle au programme. Le fait d’aller dans une salle de spectacle doit avoir une utilité tangible. Obtenir quatre sous de l’institution pour sortir avec une classe exige qu’on se plie au grand numéro du dossier administratif « impeccable » à remplir. Tout doit entrer dans les cases. C’est pas une dada attitude ! Je sais de quoi je parle, dans le secondaire c’est la même chose. Je me fâche. Je lance un appel à la désobéissance astucieuse.
Avec le temps j’ai réussi à faire éclater ce cadre, comme celui avec lequel jouent nos deux compères, et moi je joue avec les codes des intitulés pompeux. J’ai plus d’un tour dans mon sac et le vaste fourre-tout de certains programmes culturels laisse la possibilité de détourner les injonctions. Il faut être un peu dada. J’adore ça. Oui il est indispensable de préparer le jeune spectateur à recevoir un geste artistique et adopter une posture d’écoute dans une salle de spectacle. Il n’est pas seul dans son canapé avec sa tablette. Il est en connexion avec des semblables. Alors cet académisme ambiant me désole. Faire des choix contraints, étriqués pour accompagner des jeunes vers le monde de l’art me met en colère. Je refuse.
Sortir des sentiers battus, aller vers l’extravagance, l’improvisation et le jeu avec les convenances sur une scène avec des jeunes c’est faire un pari sur l’avenir. Croire qu’ils pourront réfléchir autrement, continuer de construire ensemble des univers farfelus, généreux, moins soumis aux diktats de notre société. La réaction du jeune public est souvent épatante. Zoom dada est loin de la violence sous-jacente du mouvement dadaïste des origines. Ici domine la joie de vivre, la liberté d’expression, la fraîcheur et l’inventivité qui permettent de vivre ensemble. La Compagnie Théâtre Bascule, implantée dans le Perche, œuvre à la démocratisation culturelle à travers de multiples actions en milieux ruraux qui valent la peine d’être découvertes sur leur site.
Claire Olivier
Zoom dada, spectacle jeune public mais pas que. Compagnie Théâtre Bascule.