L’appel de Nicolas Roméas sur Mediapart a suscité (bien qu’il ne leur fût pas le moins du monde adressé, car avouons-le, ces gens nous intéressent fort peu) de la part des amusants Diane Scott et Michel Simonot une réponse fielleuse, publiée dans l’ancienne RILI, récemment réduite à l’ombre d’elle-même (le « i » de « idées » a d’ailleurs disparu) en devenant « RDL ». Rapide réponse à ce coup de pub raté en forme de commentaire scolaire et qui n’appelle pas d’autre glose au sujet de la glose sur la glose.
« Résister au populisme culturel » annonce avec une grotesque emphase la tribune qui s’efforce laborieusement de démolir l’appel « L’art, la culture, et la gauche ». Diable, vaste programme ! Le chantier, en ces temps sarkozystes, est assez considérable. S’agit-il de s’en prendre aux grandes entreprises d’abrutissement télévisuel ? De résister à la vulgate qui voudrait que La Princesse de Clèves soit inaccessible aux postières ? Au suivisme moutonnier des médias vis-à-vis de « l’expo de l’année », du film à ne pas manquer, du CD « incontournable » de Lady Gaga ??
Que nenni ! Pour les cosignataires de cette pesante diatribe, le populisme culturel, c’est la défense d’« un art de la relation » (au passage, salutations à Peter Brook qui risque une violente émotion en se voyant embrigadé bien malgré lui dans les lourds bataillons du « populisme ») ! Pour dénoncer « les fantasmes toxiques » partagés par bon nombre d’artistes mus par la conviction que l’art est politique, ils se sont mis à deux pour pondre ce (très) long réquisitoire des arrière-pensées qu’ils prêtent à l’auteur. Dans un commentaire de texte au bac de français, on parlerait de simple contresens. Mais comme on ne fera quand même pas l’injure à nos deux signataires d’imaginer qu’ils n’ont jamais lu Cassandre/Horschamp, dont Nicolas Roméas est fondateur et directeur, on est obligé de constater qu’il s’agit là d’une totale incompréhension, doublée d’une mauvaise foi délibérée. Pas très surprenant de la part de ces récidivistes notoires…
On leur fera d’abord aimablement remarquer que les mots « establishment » et même « élitisme » ne font pas vraiment partie du champ sémantique de la revue, sinon entre guillemets, et que le mot « gotha » désigne ici (comme d’autres l’ont compris, mais pas eux) les barons autoproclamés d’une profession, celle de directeurs de structures de diffusion. L’insinuation de recyclage du populisme d’extrême-droite est non seulement complètement à côté de la plaque, mais d’une rare idiotie.
C’est d’ailleurs une constante de leur pensum en forme de procès, et de procès d’intention : il ne s’en prend pas, ou fort peu, à ce qu’écrit l’auteur, mais à ce qu’ils croient y lire, ce qu’ils voudraient y lire, dans une glose inquisitoriale qui renvoie aux querelles casuistiques d’un autre âge. Heureux commentateurs qui peuvent à loisir occuper un temps, précieux pour d’autres, à d’infinies spéculations théologiques ! Ils commentent un texte imaginaire et leur interprétation, comme une maladroite psychanalyse sauvage, renvoie surtout à leur propres fantasmes et obsessions.
Car de quoi s’agit-il dans cette attaque pataude qui passe très loin de la cible (et qui n’a d’autre objectif que d’agiter l’eau de la mare pour faire remarquer l’existence de nos scribouillards en mal de reconnaissance) ? De défendre l’Art… Cela tombe bien, c’est en effet l’objet du texte et de la revue qu’ils ont si mal lus. À ce détail près que l’appel, comme Cassandre/Horschamp, fait tomber la pompeuse majuscule. À ceci près qu’eux le défendent contre la « culture », honnie, toujours suspecte de vouloir rendre consensuel ce qui ne l’est pas, et radotent l’antienne gnangnan de tous les débats sur les politiques culturelles : « L’art n’a rien à voir avec la culture ». Et de se croire obligés de nous infliger les définitions scolaires de cette dernière, en en oubliant un certain nombre au passage. Le mot « création » serait devenu suspect, à les croire. Mais non, chers amis, grave erreur : il est tout juste galvaudé par de multiples « créatifs »...
Il est assez amusant de lire sous la plume de ceux qui n’ont pas de mots assez durs pour fustiger une vision édénique de la culture, cette sacralisation absolue de l’art et de l’artiste, catégorie supérieure de l’être que nos deux génies méconnus pensent certainement représenter. Ceux qui ont déjà parcouru quelques-uns des dérisoires divertissements de Simonot et subi le pénible pseudo-avant-gardisme-années-soixante de Scott, mesurent toute la dimension pathétique de la chose… Et cet étonnant couple de cirque a beau se défendre de toute volonté de « distinction », leur texte respire la triste arrogance du sachant, sacralise joyeusement les hiérarchies établies (par qui ?) et renoue sans honte aucune avec la bonne vieille mystique des « avant-gardes éclairées », voire éclairant le peuple, trop stupide, évidemment, pour adhérer ou s’intéresser à ce qui le surprend, ou le choque.
On n’aura pas ici la patience de répondre point par point à cette interminable et vaseuse dissertation. Soulignons-en simplement quelques absurdités, ou plutôt surinterprétations confinant au délire comme l’idée, par exemple, que l’auteur du texte défend des politiques culturelles et des productions artistiques différenciées en fonction de l’origine sociale et géographique des publics (banlieues, milieu rural…). Cassandre/Horschamp n’a de cesse depuis ses débuts de placer les marges au centre du débat et si nous insistons à démontrer l’inanité du vieux clivage entre « art » et « socioculturel », c’est évidemment pour prôner une exigence partagée. Rien n’est plus étranger à notre conception de l’art que le « ciblage » marketing envers des « publics », mot que nous ne cessons depuis 15 ans de réfuter ! Lorsqu’on veut jouer aux savants, peut-être est-il bon de commencer par apprendre à lire…
Mais on est surtout en droit de s’interroger sur la curieuse façon d’envisager une politique « de gauche » que prônent nos auteurs. Dans cette conception politique, il serait apparemment malvenu de bousculer les hiérarchies, de s’interroger sur l’obsolescence du clivage entre « haute » et « basse » culture, de reconnaître l’aspect dialectique du caractère à la fois rassembleur et diviseur du geste artistique. Tout comme il serait interdit de s’interroger sur le statut du « créateur » démiurge, et de valoriser ce que Michel de Certeau appelait la créativité diffuse, ou le vieil Hugo le génie des peuples (alors même que les artistes les plus intéressants de la fin du siècle dernier et du début de celui-ci remettent précisément en cause ce statut d’« auteur », que les outils contemporains font voler en éclats). Coupeurs assidus de cheveux en quatre, nos auteurs ont manifestement pourtant beaucoup de peine à penser la complexité. Et leur conception d’un Art forcément incompris à ses débuts est non seulement démentie par les faits, mais foncièrement réactionnaire, ringarde, et idiote.
Rien de très étonnant de la part de ces gens. Ce monsieur Simonot, ce ne serait pas le même qui doutait jadis de notre amitié avec Pierre Bourdieu à l’époque où celui-ci participait avec nous à des débats publics, publiait dans notre revue et signait notre premier appel ?
On ne se refait pas.
Nicolas Roméas et Valérie de Saint-Do
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