Aurillac : enjeux de campagne

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Aurillac : enjeux de campagne

Ce jour-là, à Aurillac, j’aurai écouté François Hollande et caressé une vache
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par Valérie de Saint-Do
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Ce jour-là, à Aurillac, j’aurai écouté François Hollande et caressé une vache. Il est vrai que l’inverse aurait été indécent.

Texte et photos : Thomas Hahn

Hollande arrive rue Jules Ferry, le ventre pas tout à fait plat (encore un effort), arborant quelques rougeurs flamboyantes. C’est donc l’homme qu’on aperçoit en premier, et qui précède le candidat. Il n’y a pas photo : Si j’étais Ségolène, j’irais voir ailleurs. Et puis, stupeur ! Dès qu’on prend Hollande en photo, ses défauts physiques s’estompent et son image brille, vigoureusement. Sur la photo, c’est toujours le candidat, jamais l’homme, qui apparaît. Voilà un pro de la communication, jusque sous la surface cutanée. Les élections, il les a dans la peau.

François Hollande (PS) écoute Valérie de Saint-Do qui lui parle de culture…

Il écoute quand Jean-Marie Songy, en directeur de festival militant, lui explique comment vivent les artistes : Deux d’entre eux viennent d’être interpellés par les flics parce qu’ils vendaient des cocktails dans la rue, sans licence. Mais ils n’ont pas le choix, il faut bien survivre. Qu’est-ce donc, une compagnie d’artistes et les arts dans l’espace public ? Dans la rue des Carmes, des musiciens arrosent le petit débat improvisé d’un bruit infernal. Est-ce vraiment étonnant si le candidat à la candidature parle d’animation ? Il écoute les explications et sort quelques phrases très générales sur la société et la culture. Laure Terrier, qui a fondé la compagnie de danse de rue Jeanne Simone, explique à Hollande que le terme d’animation ne convient nullement à un mouvement artistique comme les arts de la rue. « Vous avez raison, les mots sont importants », acquiesce-t-il, poliment. S’il connaissait cette frange de la création artistique, il aurait pu rétorquer que ce sont justement Laure Terrier et ses acolytes, avec leurs accolades aux voitures, qui peuvent tout à fait tomber dans le registre de l’animation. Le danger pointe, dès qu’une ville entière vit au rythme d’un festival. Trop attendu, l’exercice vire vite au folklorique. L’effet de surprise est presque zéro. C’est pourquoi Bernard Menaut, avec ses « Aventures Extra-Chorégraphiques » demeure la référence, quand il s’agit de faire exister l’homme face aux engins motorisés. Le côté kermesse, il l’a déjà intégré et le détourne. Une petite fanfare a accompagné les danseurs à Aurillac et le « public » n’est pas là pour regarder, mais il est au centre du jeu chorégraphique et musical autour d’un carrefour. Et, inversion des rôles, ce sont les automobilistes qui constituent le décor et le public.

Bernard Menaut (au fond) et ses danseurs-musiciens au Square d’Aurillac

Hollande s’en va, et il rate l’occasion de caresser une vache, à 500 m du Collège Jules Ferry, sur l’autre rive de la Jordanne. C’est là que Philippe Ségéric, autant danseur et comédien qu’agriculteur, présente son duo avec Margot, une de ses cinquante vaches, spécialement préparée pour le spectacle par Jean François Maret. Préparée certes, mais : « Qu’elle se couche ou qu’elle reste debout, je n’y peux rien. » Ségéric est passé par des stages de théâtre et de danse contemporaine avec des pointures comme Jean Gaudin, Pedro Pauwels et autres. Dans « Vache de Tango – comédie ruminante », il raconte sa vie, le passage de l’agriculture à échelle humaine vers son industrialisation et le désastre écologique et économique qui s’ensuit. Depuis, il est obligé d’arrondir ses fins de mois en donnant son spectacle, dans lequel il démontre que sa Margot aussi sait écouter quand on lui parle d’art, même si elle n’est candidate à rien. Il séduit Margot, une authentique

Salers, dans un tango apaisé, mais sur la photo, on aura toujours l’impression qu’il s’agit d’une corrida. La photographie est une vraie vacherie. Ségéric sort « Indignez-vous » de Stéphane Hessel, enfile une queue-de-pie et cite Lévi-Strauss : « Parlons des droits du vivant, pas seulement des droits de l’homme ! » Margot, à cause de Brassens ? « Non, à cause de Fernandel. »

Margot et Philippe Ségéric dans « Vache de Tango – comédie ruminante »

Un militant comme Ségéric aurait bien sa place dans « Music hall social », le débat-repas-spectacle de Fantazio qui occupe la place des Carmes, car son discours est une illustration des réflexions qui y tournent autour de la santé alimentaire. A quoi sert un festival des arts de la rue ? La réponse est dans la place. Les « indignés » peuvent y prendre la parole et personne ne risque rien, puisqu’on sait qu’après trois jours de « Music hall social », tout sera fini. Et pourtant, un espace de liberté est un espace de liberté. Il suffit d’en faire bon usage et de créer la surprise. Musique, acrobatie, parole militante, réflexion politique, happening, expérience partagée de préparation d’un repas - tout s’y conjugue. Une autre forme d’inscrire l’art dans la cité est née, un cabaret citoyen et participatif où tout est possible. Le bordel apparent sur la place est une invitation à l’invention. La proposition est donc lancée à Ségéric de rejoindre ce champ expérimental sur la place des Carmes. Avec Margot, naturellement. Il saisit immédiatement l’intérêt de ce chantier artistique et politique. Mais il y a un problème : « J’ai une interdiction stricte de la part de la direction du festival de me promener dans la ville avec Margot. » Il faut donc l’amener dans son camion. Et ça marche. Margot entre en scène une seconde fois dans la même journée.

Arrivée dans le « Music hall social » sur la place des Carmes

Mais Ségéric ne répète pas son discours sur l’agriculture. Il a un mauvais pressentiment par rapport à son bétail et a hâte de rentrer chez lui. Le soir, il est de retour. En effet, une de ses vaches est morte pendant l’après-midi.

Et on se rend compte qu’il a quelques liens avec les artistes. Une amitié le lie avec Antoine Le Menestrel ; les deux se sont rencontrés dans un stage aux Hivernales d’Avignon. À Aurillac, les deux proposent des spectacles poignants. Le Menestrel se présente en Fantômas ou Spiderman, escaladant les façades du centre-ville. Il attaque les symboles de l’ordre et du capital, se transforme en Néron, en Jésus à la croix et rappelle la Statue de la Liberté avec sa torche, laquelle brûle ici des billets de banque, grands comme des drapeaux. Mais à la fin, il n’est plus qu’un rôti chez le boucher. Ce manifeste poétique et politique, Le Menestrel atteint le mythe. Sa perfection est telle qu’il dépasse l’humain, tel un danseur étoile. C’est quelqu’un doté d’une telle aura et d’une telle acuité qu’il faudrait pour faire tomber le système financier. « La Bourse ou la Vie ? » s’appelle l’appel qu’il inscrit sur les toits et les façades.

A. Le Menestrel (Cie Lezards Bleus) dans « La Bourse ou la Vie ? »

Où va l’argent ? Quelquefois, il est englouti dans des sous-marins. La compagnie Ilotopie a conçu sa nouvelle création Opéra d’O pour un plan d’eau d’envergure. Un directeur dans son bureau (joué par Bruno Schnebelin, le directeur de la compagnie) s’adonne à ses rêves qui contiennent tous les phantasmes de l’homme qui ne veut pas grandir : On joue avec une locomotive, les soldats de plomb avec leurs canons. Les sapeurs-pompiers plongent. Le rail se brise, le clown et la ballerine dansent, les fumigènes s’emballent. On chevauche des dromadaires à la Dali ou conduit des auto-tamponneuses sur l’eau. Le public consomme des images féeriques, mais juxtaposées comme dans une vitrine, là où un Philippe Genty sait faire jouer l’inconscient du spectateur. Opéra d’O est de la poudre aux yeux, mais on peut toujours s’exciter par rapport à la prouesse technologique. « Chaque acteur dispose de son propre moteur », explique Schnebelin au journal La Montagne. Chaque acteur dispose même de son propre sous-marin ! « Grâce à un seul mouvement du pied, il peut activer une LED qui va allumer ou éteindre les lumières, faire avancer ou reculer le sous-marin. C’est la troisième génération de machines. » Sans parler de ce rail de cinquante mètres avec ses lampadaires. « Il y a énormément de flottabilité à assurer. /…/ Quand la voie ferrée se sépare, ils pilotent un moteur sous l’eau en tournant le lampadaire. » Le bonheur est dans l’ampleur. Il s’agit là aussi d’un spectacle politique, parce qu’il cautionne cette culture de la communication remplaçant le contenu, qui plaît tant aux édiles. Est-ce le rôle des arts de la rue de prendre les chemins de Versailles ?

Flottabilité assurée : « Opéra d’O » d’Ilotopie

La Montagne jubile : « Féerique ! » Pour le quotidien local, même le kitsch insipide de la bande son est « magnifique ». On y encense presque systématiquement les spectacles. Un « brillamment » par ci, un « Détonant ! » par là. Mais l’édito du dimanche explique le phénomène. La jubilation s’adresse au festival en tant que tel, plus qu’aux créations des compagnies. Avec le public estimé à +15% par rapport à l’an dernier et le nombre des compagnies dans le Off augmentant une fois de plus, le journal note : « Ce succès, comme celui des Vieilles Charrues de Carhaix, de la Chaise-Dieu, des Eurockéennes de Belfort (etc.) est aussi celui de la France rurale, la revanche de la campagne sur le centralisme parisien ou le « mégalopolisme » et ses moyens autrement plus conséquents. »

Le clivage mégapole – campagne est en effet un des problèmes majeurs en matière de création et de diffusion artistique, et les arts de la rue aident à le réduire. Mais la France rurale se porte-t-elle mieux si elle reçoit, à son tour, une part du gâteau - pardon, du château – de Versailles ? C’est l’inverse qu’il faut faire, à savoir, amener Ségéric et sa Margot à Paris !



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