Comme pas mal d’autres aujourd’hui, Isabelle Dario et Boris Claret cherchent dans différents domaines, et avec différentes techniques audiovisuelles, des solutions pour sortir d’un système ultralibéral qui abîme notre vie commune et notre relation au monde environnant. Ils font surtout du cinéma destiné à montrer des réalités méconnues et à conscientiser sur des sujets essentiels pour ouvrir les débats et éventuellement mener à l’action. Ces sujets sont par exemple, avec Vincent Glenn, les garanties des moyens d’existence (du revenu de base au salaire à vie, porté par Bernard Friot), ou l’agriculture et l’écologie dans le monde. Ils participent à plusieurs collectifs : La Trame, les Lucioles et au Burkina Faso, le Ciné Yam des Paysans Sahéliens Documentaristes. Ils ont donc plusieurs missions en même temps, dont on peut dire qu’elles appartiennent à une démarche d’éducation populaire au vrai sens du terme. Dans le domaine culturel, qui est celui auquel on se consacre ici, de plus en plus de gens sont conscients qu’il s’agit en réalité d’un projet global, dans lequel la solidarité, l’interdépendance, le fait de ne pas être replié sur soi-même, sont fondamentaux, que ce soit au niveau de l’écologie, de l’agriculture, ou de ce qu’on appelle l’art et la culture.
Pour faire le lien entre nos univers dans cette libre conversation, je dirais que je prends souvent l’exemple de René Dumont, qui a su extirper le mot « écologie » - qui était autrefois un mot savant, réservé aux chercheurs - de l’obscurité des labos, et progressivement le faire vivre, entendre, l’illustrer, jusqu’à ce que ce mot devienne porteur pour tous d’un regroupement d’éléments qui, autrefois, n’étaient pas reliés entre eux, comme le problème de l’eau, de notre relation aux animaux, du climat, de la productivité excessive, etc. Ces thèmes étaient disjoints. Les choses ont changé, grâce à un mot. Les mots sont ici notre préoccupation première : comment les utiliser ou les faire apparaître dans le champ lexical commun... Lorsqu’on utilise le mot « art », des images mentales surgissent dans nos têtes, qui désignent quelque chose de très précieux, qui a beaucoup de valeur, qui se trouvera dans un musée, etc. Culture est un mot clivant, parce qu’il sous-entend que certains la possèdent et d’autres non. Imaginons une salle de débat avec des agrégés de lettres d’un côté et des ouvriers de l’autre : le mot culture n’a pas le même sens pour les uns et les autres, ce n’est pas un mot qui fonctionne à l’identique pour chacun. C’est pour ça que j’emploie le terme outils du symbolique et presque plus art et culture. Et il me semble qu’il y a des jonctions entre nos univers. Vous avez travaillé en Afrique sub-saharienne et il se trouve que je suis allé plusieurs fois au Burkina Faso et au Mali pour rencontrer des gens de théâtre, parce que j’essayais de comprendre s’il y avait une source africaine du théâtre différente de la source grecque...
Pardon pour cette longue intro ! Est-ce que dans votre cas, le travail sémantique, nommer les choses, est aussi important ? Et, d’ailleurs, comment vous définiriez-vous ?
Isabelle Dario : Nous sommes des œuvriers, j’aime bien ce concept, créé par Bernard Lubat et repris par Roland Gori... J’ai en effet toujours du mal à dire que je suis artiste. Réalisatrice, je l’assume, mais artiste, c’est vraiment un mot qui résonne beaucoup. Nous ne pouvons pas nous considérer comme des artistes qui seraient au-dessus des autres, créateurs isolés dans une tour d’ivoire, déconnectés du monde, de ses contingences. Nous sommes pleinement connectés avec le monde qui nous entoure, que nous observons. Et nos productions audiovisuelles en produisent une image, un récit, une représentation dont l’enjeu est d’être mise en débat afin, nous l’espérons, d’être transformée collectivement.
Pour ce qui est de votre relation à l’Afrique, comment se déroulent les échanges ?
Boris Claret : L’Afrique, c’est une leçon de choses qui m’a été donnée et qui a été longue à comprendre pour nous. Ce qui fait le pont entre les deux projets important sur lesquels nous travaillons, Le Ciné Yam au Burkina et De Base que nous menons avec Vincent Glenn, c’est la question de la précarité. Lorsque nous avons débarqué il y a 20 ans à la ferme pilote de Guiè au Burkina Faso, il n’y avait que des cases, pas d’eau courante, pas d’électricité. Tu passes deux mois là-bas et tu as du mal à comprendre pourquoi les gens n’anticipent pas, alors qu’ils ont eux-mêmes développé des stratégies de résilience et d’agroécologie vraiment prometteuses. Mais au bout d’un moment, tu comprends qu’il faut avoir une petite marge, celle qui permet de prendre un risque, de chercher, d’inventer. La terre, il faudra 3-4 ans pour l’améliorer, ça en vaut la peine, mais si tu meurs de faim l’année d’après parce que tu n’as pas fait la soudure pour remplir ton grenier, la question te paraîtra bien théorique. Notre immense chance en Occident, c’est d’avoir une marge. On a vraiment une marge. Cette marge, c’est notre capacité à tenir le coup, ça nous donne un immense champ de création possible, une capacité à prendre des risques. Au lieu de l’investir dans la frustration pour acheter le dernier produit à la mode, le dernier jean, etc., nous pourrions nous confronter aux difficultés qui nous font face et qui vont nécessiter de revisiter le monde de A à Z et réinventer une autre relation à ce monde.
Si nous attendons d’être précarisés au point de ne plus avoir de marge et donc de capacité de proposition et d’invention, on est morts. Donc la question écologique et la question sociale se rejoignent. Ce qui est le cœur des préoccupations des gens ici, c’est le boulot, le travail. Et là aussi, il faut aller du côté de la sémantique, qu’est-ce que c’est devenu, le travail, la notion de travail pour les gens ? Il y en a pour qui c’est le bagne, pour d’autres c’est la banalité, oui, l’homme a toujours travaillé, on travaille, il n’y a pas de problème, d’autres pour qui c’est l’emploi, etc. Il y a vraiment des choses à préciser ici aussi.
Est-ce que ce qu’on appelle la précarité, c’est une précarité réelle et objective, ou est-ce que ce n’est pas aussi une manière de considérer, par exemple, que c’est notre façon à nous de vivre qui s’impose et qui, en effet, fixe les règles de la précarité, comme l’absence de technologie par exemple, par rapport à d’autres modes de vie ?
ID : Ça fait 30 ans que je vis la précarité en tant qu’intermittente. Je ne sais pas toujours si j’aurai du boulot dans les mois à venir, si j’aurai les moyens de faire le travail dans lequel je me suis engagée, sans en avoir forcément tous les financements... Mais je m’accommode de ce régime de fléxi-sécurité conditionnée que m’offre l’intermittence. Nous avons fait le choix ne pas aller bosser à Paris, de rester en région, nous sommes des documentaristes smicards de l’audiovisuel. Cette précarité, ça fait 30 ans que je la vis et en fait, ce n’est plus une précarité, dans la mesure où je peux faire ce qui me semble important et manger tous les jours.
BC : La façon dont nos thématiques se croisent permet de mettre en perspective notre exemple africain. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le projet De Base, un de nos complices à Paris, Télémaque Masson, spécialiste du revenu universel et du salaire à vie, nous a renvoyé à un concept plus élargi de “garantie des moyens d’existence”, qui intègre évidemment des notions comme l’écologie. Bien sûr, l’air et l’eau sont essentiels à la vie, mais en ce qui concerne nos existences collectives, les services sociaux, la santé, l’école, etc., sont aujourd’hui en réalité tout aussi essentiels. En tant qu’intermittents, entre nos réseaux et notre patrimoine, notre niveau de précarité n’a rien à voir avec celui d’une famille sahélienne où, tous les quatre ans, il y aura une mauvaise année agricole qui remet à zéro le compteur, ce qui veut dire que tu dois vendre le vélo pour acheter à manger et que ta capacité à produire sera encore diminuée, etc. Donc, il est bon de relativiser cette question de la précarité. Mais la précarité, si elle est aujourd’hui numérique, concerne aussi les réseaux relationnels et éducatifs. Quelqu’un qui a du réseau, un bon niveau de formation, des compétences, et ce que Pierre Bourdieu appelle un capital symbolique, n’est pas dans une précarité absolue, sans parler de son patrimoine matériel...
ID : Cette notion de précarité est centrale dans nos travaux. Il s’agit de savoir ce qui est réellement utile à nos vies et à notre bien-vivre-ensemble. Comme le dit Boris, le plus important c’est la relation aux autres, le fait qu’on est interreliés, qu’on est beaucoup moins précaires lorsqu’on sait qu’on n’est pas complètement isolés.
C’est une modalité de vie commune qui a existé chez nous, qui est en train d’être détruite de plus en plus. Qui l’est aussi, d’ailleurs, dans les grandes villes africaines occidentalisées. Mais qui reste complètement vivante, paradoxalement, dans des endroits du monde qui, d’apparence, sont beaucoup moins riches. Cette capacité à être ensemble est donc un élément de richesse...
BC : Oui. Quand tu vois le contraste entre notre situation, avec l’atomisation de la société, la famille dite nucléaire, etc. et celle de l’Afrique où la famille élargie est l’espace de la solidarité, c’est flagrant. Mais il y a aussi d’autres aliénations là-bas, par exemple les anciens qui décident de tout en dernier ressort... Et ne parlons même pas de la question des genres. Il y a une dialectique entre les deux dimensions du « nous » et du « je ». Nous nous sommes émancipés du poids du groupe, mais finalement on se retrouve seuls. Au lieu d’être dans le binaire, nous devrions apprendre à grandir. Nous avons exploré un champ de possibles, de libertés immenses... On pourrait peut-être trouver la relation entre ces deux polarités qui peuvent se nourrir réciproquement.
Est-ce que c’est ça qui est mis en pratique, justement, par exemple, à la ferme de Guiè où vous avez travaillé, au Burkina Faso ? Est-ce que c’est quelque chose de cet ordre qui retentit également sur les relations entre les gens ? Ou est-ce que ça agit uniquement par rapport à une pratique ?
ID : Je pense que la pratique finit par rejaillir sur les gens. Lorsqu’on les invite à expérimenter, que la structure devient un immense terrain de recherche-action, à la longue, année après année, tout d’un coup, on en voit se libérer de certains carcans, tenter des choses, et puisqu’ils y sont invités, c’est accueilli. En 30 ans d’existence, ils ont mis en place, l’air de rien, une forme d’autogestion assez incroyable. Au lieu d’attendre que le gouvernement vienne créer l’école, à un moment donné, le besoin de l’école a été évident dans les 15 villages. Partout, alors, ils se sont donné les moyens, avec beaucoup d’aide de la coopération. Mais n’empêche qu’ils se sont donné les moyens de créer les écoles, les routes. Voilà. Et une fois qu’ils avaient créé les écoles, ils ont fait coucou au ministère pour dire : « Oh, les murs existent. Envoyez-nous les profs ».
C’est à ce moment-là que vous avez créé un lien avec cette expérience ?
BC : Oui. Quand je les rencontre en 99, il n’y a qu’une ferme créée par une association de 5 villages, puis de 6 villages, et ils finissent avec 11 villages. Là, ils disent « C’est bon, on ne peut pas grossir plus ». Leur singularité c’est d’avoir un projet totalement holistique avec des actions sur la petite enfance, la santé, l’éducation, l’agroécologie. La totale ! Puisqu’il y a des demandes venues d’ailleurs, parfois d’un peu loin, 100, 200, 300 km, au Burkina, et au Nord, encore plus en zone sahélienne, ils décident d’essaimer. À la demande de villageois locaux, la ferme envoie une délégation de gens qui ont 10 ans d’expérience de terrain, et ils recréent une autre ferme. Depuis, ils en sont à 5 nouvelles fermes. Et la question de la transmission se pose. Nous les retrouvons à ce moment-là. Comme j’avais fait par ailleurs un autre film de transmission pour des associations de femmes burkinabées, ils ont été vraiment attirés par la puissance de transmission du film en plus de la tradition orale et de la pratique partagée. Nous avons alors décidé de créer ensemble le « Ciné Yam des Paysans Sahéliens Documentaristes » avec l’objectif in fine qu’ils puissent produire leurs propres outils de transmission audiovisuelle, dans une perspective documentariste, avec une volonté de niveau professionnel, pour que les films puissent être mis en ligne, libre de droit sur Internet. Projet plutôt ambitieux. Et on a démarré... En 2012, on posait les premiers dossiers et personne ne voulait soutenir le projet.
En 2015, nous étions prêts à jeter l’éponge. On a quand même voulu monter une première mission d’un mois, avec nos propres moyens et ceux de nos réseaux d’amitié. Et nous sommes revenus avec un film qui nous a convaincus que nous n’étions pas fous, que c’était jouable. Et ils étaient très motivés de leur côté, ils ressentaient une grande frustration de nous voir repartir avec le matériel. Nous avons donc attendu 2017 pour avoir les premiers financements et nous avons tenu jusqu’en 2022. Et ensuite, plus de sous. Et puis la situation politique au Burkina a compliqué la suite de l’aventure. Mais ça ne nous arrête pas pour autant : ils sont maintenant totalement autonomes techniquement et matériellement, c’est déjà pas mal. Une des fermes a dû arrêter parce que tous les villageois impliqués autour de cette ferme ont été expulsés par les djihadistes. Donc elle n’avait plus de raison d’être, il n’y avait plus de villageois. Elle est en stand-by depuis trois ans. On en est là. Du coup, on va continuer, mais certainement à Ouagadougou, ce qui va être plus cher et plus compliqué, et moins sympa pour tout le monde. Mais bon, voilà.
Je pensais naïvement que la nouvelle situation politique pouvait au contraire conforter de nouvelles expériences qui accroissent l’autonomie par rapport à l’Occident...
ID : Oui, malheureusement, ce n’est pas le cas. S’ils ont eu beaucoup d’espoir dans le jeune capitaine qui a fait le dernier coup d’État, clairement, ça devient une dictature militaire avec énormément de limitations de l’expression politique et pas moins d’attaques djihadistes. Du coup, la situation ne s’améliore pas vraiment, en tout cas au Burkina. Nous étions présents lors du premier coup d’État, en janvier 2022. On ne s’inquiétait pas du tout. On se disait que si c’était leur façon à eux de mettre en place une forme de renouvellement gouvernemental, il fallait l’accepter. On prenait ça avec beaucoup de philosophie, comme eux, en se disant : « il va peut-être se passer quelque chose... ». Mais non, en fait. Il y a quand même un problème.
C’est une phase de transition dangereuse.
BC : Oui, il y avait une sorte de hiatus assez incroyable à Ouagadougou. 40% du territoire n’était plus contrôlé. 60 000 écoles étaient fermées. Tous les dispensaires du Nord étaient fermés. Et Ouagadougou vivait comme si c’était ailleurs. Ce n’était pas un état de guerre. Mais ils avaient perdu 40% du contrôle du territoire, occupé de façon très agressive par les djihadistes, pas du tout à la façon burkinabée ou malienne, où on se contente de prendre la place. Les populations ont été chassées. 3 millions de déplacés. Bon, il était temps qu’ils se réveillent d’une façon ou d’une autre. Et là, les nouveaux dirigeants se sont réveillés, en mettant le pays en état d’urgence, donc, restrictions politiques, restrictions démocratiques, etc. Alors, ils ont peut-être quelques résultats de terrain, mais ça n’est vraiment pas simple. Bon, apparemment les Russes ont débarqué, les Français se sont fait virer. Et pour l’instant, il y a quand même très peu de villages qui ont été réinvestis, les écoles n’ont pas été rouvertes dans le Nord, pas encore. On est loin du compte.
ID : Oui, il y a un vrai problème, parce que c’est quand même une dictature militaire. C’est dramatique. J’ai l’impression qu’on ne se rend pas compte ici qu’il se passe là-bas des choses qui vont nous concerner demain. C’est le continent le plus dynamique de la planète, le continent le plus jeune, celui où les ressources sont les plus importantes et encore un peu intactes du point de vue écologique. On n’a pas encore trop massacré les sols là-bas. Il y a un aveuglement sur l’Afrique de la part du reste du monde que je ne comprends pas bien.
Donc, il est naïf de considérer comme positif ce détachement du néocolonialisme ?
BC : C’est-à-dire que je ne sais pas si c’est suffisamment partagé par toute la population. Pourtant il y a en Afrique un mouvement intellectuel très puissant. Beaucoup de ceux de la génération des 40-50 ans, sont des gens qui en partie se sont formés en France ou aux États-Unis, ou pour certains en Russie, d’ailleurs. Et il y a un niveau intellectuel qu’on refuse de voir. Pourtant les Rencontres de Dakar, par exemple, c’est génial. Il faut vraiment écouter tout ce qui se raconte, tout ce qui se dit. C’est d’une puissance symbolique et intellectuelle incroyable. Mais on s’en fout, ici, de ça. On ne veut pas le voir. Je pense qu’il y a une vraie pensée qui dépasse - et critique même parfois - toutes les pensées "africaines", qui ont pourtant été essentielles. Tous les Frantz Fanon et les autres après lui... J’ai le sentiment que dans tous ces moments d’échanges et de foisonnements intellectuels incroyables, la question religieuse n’est pas là. Mais bon, c’est très compliqué, la question religieuse. Nous, au Burkina, nous sommes confrontés à ça, on assume totalement et tout le monde sait que nous sommes des croyants sans Dieu. On a des échanges passionnants où on explique qu’on ne le nomme pas, mais qu’on croit à une puissance, à des choses qui nous dépassent. Mais il est impossible pour eux de ne pas être d’une communauté religieuse. C’est très très compliqué. On connaît une ou deux personnes qui disent « Moi, je suis Rastafari, c’est ma religion », en rigolant. Mais ils sont malgré tout pris dans les débats des communautés religieuses du village. Et il ne peuvent pas échapper à ça. C’est un élément de l’émancipation qui reste à traiter. Et je ne sais pas comment.
Je ne peux pas m’empêcher de faire un pas de côté sur le Burkina. Quand je suis allé à Ouagadougou pour la première fois, j’ai rencontré un gars, qui s’appelait Jean-Pierre Guingané, décédé maintenant [1], qui m’a beaucoup marqué, car, quand je l’ai rencontré, il m’a menti. Je venais de Paris, il n’y avait pas internet à l’époque, on envoyait des faxes. J’étais invité à l’ouverture d’un festival par un gars qui travaillait à partir du Théâtre Forum d’Auguste Boal, censé pouvoir donner la parole à tous les spectateurs qui le souhaitent, à un moment où ils ont une chose à dire sur scène. Les Africains qui ont des habitudes villageoises plus profondes, ça ne les intéressait pas, ils ne bougeaient pas. Et Guingané m’avait envoyé un fax me disant qu’il inaugurait l’espace Gambidi au même moment, à plusieurs dizaines de kilomètres, à la même heure, le même jour. Je suis un peu idiot, je suis un Parisien à la base, mais quand même, je trouve ça un peu louche. Comme le Festival m’intéressait peu, et que je voyais que ça ne prenait pas, j’ai pris un taxi, et je me suis retrouvé au bord du désert, dans une ancienne caserne française, où Jean-Pierre Guingané, qui s’était foutu de ma gueule, n’inaugurait rien du tout.
Il voulait juste que je vienne l’écouter, lui, et pas l’autre. Donc il m’a parlé. En gros, il m’a dit : « Là c’est la grande salle de théâtre, là, la salle des costumes, la petite salle », c’était en fait la caserne et la cour de la caserne. Il disait : « Vous voyez l’arbre là-bas, c’est ce que vous appelez le lointain dans les théâtres en France. Mais je vais vous montrer l’endroit le plus important », et on sort de la caserne, on est dans le sable, et là il me dit : « voilà », j’ai dit : quoi : « voilà » ? « Voilà, on y est », on est où ? « Mais vous ne voyez pas, regardez les traces par terre, on plante des flambeaux le soir, et il y a un conteur qui vient. On n’a pas besoin d’un lieu particulier pour que le théâtre existe, c’est la chose elle-même qui produit le théâtre. ». Ce mec était magnifique et j’étais assommé par l’idée qu’il se moquait de moi. J’étais aussi très pote avec un génial tunisien, Ezzedine Ghanoun, décédé depuis, qui dirigeait le Théâtre El Hamra à Tunis. C’était le seul théâtre de la ville qui faisait des stages, des spectacles avec des Africains noirs, et quelque temps après ils rendent un hommage à Jean-Pierre. J’arrive au théâtre, j’ouvre la porte et à l’intérieur, il y avait son fils spirituel qui parlait de lui et il dit : « c’était un sage moqueur, le savoir, il le faisait passer en se moquant des gens ». Et tout à coup j’ai compris ce qu’il avait fait en se moquant de moi, en me traitant comme un journaliste parisien avec son gros magnétophone. Et j’ai trouvé ça magnifique. Cette moquerie a inscrit en moi un savoir.
BC : C’est une très bonne méthode. Il y a les parentés à plaisanterie au Burkina, une façon de réguler les vieux conflits inter-ethniques, mais il ne faut pas se tromper. On a quelques amis à Ouagadougou, ils baissent la vitre de la voiture et ils insultent quelqu’un sur le trottoir, parce que c’est une connaissance, d’une autre ethnie. L’autre lui répond par une autre insulte. Et c’est leur façon d’entamer le dialogue et d’aller boire la bière après. C’est le code, tout le diagramme des inter-relations ethniques : qui peut insulter qui, dans quel sens, en le traitant de quoi, etc. Et tout ça pour désamorcer des vieilles histoires. C’est assez extraordinaire et surprenant. La manière de résoudre les conflits à travers la parenté par la plaisanterie, c’est la possibilité de parler des problèmes. On ne les nie pas, on en parle et on les règle d’une autre manière. Pour ce qui est de l’usage du jeu, de la théâtralisation, c’est un vrai outil pour eux. Les dernières fois où nous étions à la ferme de Guiè, il commençait à y avoir des camps de déplacés, non loin de Guiè. Et il y avait un garçon qui travaille un peu avec nous au cinéma, qui est le metteur en scène, l’animateur d’une troupe où il y a des gamins et quelques adultes. Ils faisaient des scènes qu’ils avaient écrites ensemble à partir d’un travail d’impro. Ensuite, ils les répétaient (ils appellent ça « Théâtre Action ») [2] et ils jouaient à l’occasion des Ruralies, un temps de rassemblement annuel autour de l’agriculture. À chaque fois le théâtre est là. Il y a plusieurs moments. Chaque saynète qu’ils ont mise en scène peut ponctuer la cérémonie qui est très longue. Et ils travaillent sur des sujets importants comme la situation des déplacés, comment on les accueille, de situations où on les rejette. Et le théâtre met en scène la possibilité de les accueillir.
Est-ce que vous avez vécu, assisté ou participé à des formes rituelles locales ?
ID : À la ferme, nous sommes à chaque fois invités à des funérailles. Les masques sortent de temps en temps et il y a du djembé qui résonne souvent dans les villages alentours, dans des fêtes de nuit. Mais là il y a une nouvelle entrante qui vient perturber pas mal le jeu, ce sont les évangélistes, baptistes et pentecôtistes, et tous les protestants américains, très prosélytes et intolérants, qui débarquent depuis le golfe de Guinée, envahissent totalement le champ. Ils ont un succès incroyable.
L’histoire du Kotéba thérapeutique [3] que j’ai découvert au Mali à l’hôpital du Point G avec Philippe Dauchez qui faisait du « théâtre utile » et le comédien Adama Bagayoko, m’a frappé, parce que c’est justement à la jonction de cultures qui, a priori, n’ont pas les mêmes codes. Je suis obsédé par la question de savoir s’il y a des origines africaines différentes des origines grecques de ce qu’on appelle le théâtre. Quand je suis retourné voir Adama pour qu’il m’explique sa vision des choses, Il a éclaté de rire et il m’a dit : « Mais la commedia dell arte et le Kotéba, c’est la même chose. On prend un problème, sociétal et/ou humain, on l’exagère, on fait rire tout le monde, y compris pour le Kotéba, les protagonistes du problème qui sont spectateurs à ce moment-là. Et on expulse le problème ». Ce n’est pas qu’il disparaît, mais on est beaucoup plus à l’aise avec. C’était important pour moi, parce que mon obsession, c’était l’usage politique dans la communauté humaine de ce qu’on appelle le théâtre et qu’on finit par considérer comme quelque chose qui ne touche pas nos existences. Le théâtre est toujours, fondamentalement, un outil de la collectivité.
ID : Oui, tu parles de « théâtre utile », il nous arrive souvent de revendiquer cette idée que nous sommes dans une démarche de « cinéma utile ». Parfois, je pourrais être frustrée, par exemple, de ne pas faire un film très personnel sur un sujet qui m’intéresserait, mais qui n’aurait pas forcément un lien avec l’état du monde... Enfin, mes préoccupations ont toujours un lien avec le politique et l’actualité, le social et l’écologie. Mais c’est vrai qu’en même temps, je n’ai pas cette frustration parce que tous les films qu’on arrive à faire ou à accompagner, sont des films, effectivement, qui relèvent de ce qu’on pourrait appeler un cinéma utile.
BC : Nos films ont cette fonction d’éducation populaire qui est de mettre en lumière un sujet, une problématique, et c’est ça qui m’intéresse.
ID : Souvent, il est arrivé que beaucoup de gens à qui nous parlions du Ciné Yam, s’extasient. Ils disent : « vous aidez l’Afrique », et à chaque fois, je me liquéfie quand j’entends ça, parce que je n’aide pas l’Afrique, c’est l’Afrique qui m’aide. Lorsque je suis allée pour la première fois à la ferme de Guiè et que j’ai vu ce qu’ils faisaient, j’ai vraiment eu envie d’aller travailler avec eux, parce que je suis intimement persuadée que toutes les techniques d’agroécologie qu’ils ont développées là-bas, on va en avoir extrêmement besoin chez nous. J’y suis allée de manière hyper intéressée, parce que je suis persuadée que ça va nous aider, ce qu’ils font. « Si tu veux aider quelqu’un, interroge-toi d’abord sur ce que tu as à lui demander. » Je crois que c’est Amadou Hampaté Ba [4] qui disait ça. Et là, on est en plein dedans. Moi, vraiment, j’ai toujours été convaincue en allant à Guiè, que je travaillais autant pour eux que pour moi.
Et donc vos films tournent beaucoup en Afrique et aussi sur Internet ?
BC : Oui, les films du Ciné Yam, par exemple, ont des milliers de vues, ça circule. Le Ciné Yam est aussi équipé pour aller faire des diffusions dans les villages : les ciné-villages.
ID : Ils font une quinzaine de diffusions par an, ils tournent dans les villages et montrent des films qui leur permettent de découvrir les techniques. Le travail le plus représentatif, c’est celui sur le zaï, ces cuvettes qui retiennent l’eau….
Ah, les petites bassines, rien à voir j’espère, avec les mega-bassines que combattent les écolos ici ?
BC : Rien à voir (rires). Oui, c’est vrai qu’il faudrait qu’on le mette en parallèle. Ce sont des micro-bassines, des nano-bassines, même. Je voudrais revenir sur une quesion qui m’importe, celle de la création. Au sens de la prise de risque dans un monde où il n’y a plus que des producteurs, des gens qui, quand tu leur parles cinéma ne comprennent rien, on a eu des retours de professionnels, même amis, quand ils voyaient nos teasers de De Base : « Mais c’est quoi, ça, ce truc ? Ce ne sont même pas des maquettes, ce sont des teasers. C’est quoi ? » Pour eux, tu dois avoir une méthodologie d’expert. Notre prise de risque, c’est qu’on tente à la fois d’arriver à fabriquer des films, tout en suscitant une dynamique autour de ça. Et c’est la dimension plus politique.
C’est important, parce qu’il y a une urgence à fédérer, une urgence à refaire réseau, une urgence à sortir de cette société complètement clivée, éclatée, où chacun nage, comme dit Vincent (Glenn), dans son couloir de nage, où chaque partie, chaque sous-obédience, chaque spécialité travaille en vase clos, personne ne veut s’occuper de son voisin. Et nous allons dans le mur... C’est vraiment un grand chaos. Alors, certes, faire le saumon et remonter le courant, pourquoi pas ? C’est la façon d’aller poser des oeufs qu’ont les saumons, hein ? (rires). Il faut parfois remonter le courant. Mais là, je crois qu’on vit un moment où si on se réveille pas, si on n’apprend pas à savoir qu’il y a 80 % de choses qui nous réunissent pour 20 % de choses qui peuvent se discuter et que dans cette discussion, il y a mille intérêts communs et surtout aucune nécessité de clivage, ça va mal se passer. On nous force à choisir un camp systématiquement. C’est binaire. Et c’est insupportable. Tellement insupportable que, dans cette expérimentation à partir de l’entrée du travail, évidemment, il nous faut aborder, de fait, tous les autres secteurs de vie. Avec un double enjeu. Il y a, d’une part, le fait qu’on a choisi de faire une série documentaire. C’est quelque chose qu’on va expérimenter. On était plutôt sur des films unitaires, des formats, avec un récit pré-construit. Et là, il va falloir qu’on découvre et qu’on cherche, qu’on expérimente, parce que des séries documentaires, pour l’instant, il y en a peu... Et il y a le choix d’une diffusion qui ouvre le plus possible sur des discussions publiques
Ça peut aussi passer par une diffusion télévisée ?
ID : Si on essayait de convaincre une télé, il faudrait écrire des dossiers, et on est vraiment las de rédiger des tas d’énormes dossiers de films qu’il faut réécrire 40 fois... Au bout d’un moment, quand par bonheur tu arrives à trouver les financements, tu t’es tellement épuisé que tu n’as plus la pêche, parfois, pour faire le film. La dernière étape de notre processus de réalisation, c’est de faire vivre la série, sa distribution, organiser des tournées pour accompagner le débat. Nous avons en Occitanie une télévision locale sur Internet : POM.TV, une société coopérative, qui a été créée par quelques producteurs et réalisateurs. Le projet les intéresse, le problème, c’est que Boris, Vincent et moi, devons trouver des financements.
Il y a un grand réalisateur de cinéma, très spécial, que je trouve un très bel exemple d’un cinéma qui travaille le réel par la fiction, c’est Peter Watkins et notamment son film magnifique : La Commune.
ID : Oui, quand Watkins, à travers La Commune, voulait réinterroger un événement historique réel, il faisait ça à travers un dispositif où il mettait en jeu la fiction. J’aime bien ce que dit Van Der Koeken, un réalisateur belge : « je filme le réel avec les outils de la fiction ». Nous sommes vraiment dans cette approche. S’il y a des choses qu’il faut parfois fictionner pour les faire émerger telles qu’elles peuvent apparaître dans le réel mais telles qu’on ne peut pas les capter pour différentes raisons, c’est quelque chose dont on ne se privera pas. Dans l’appel à financement participatif pour De Base, on parle de 12 épisodes parce qu’il faut charpenter les choses pour que les gens comprennent vers où on veut aller. Mais clairement, tout ça va bouger au fil des tournages et des rencontres. Pour l’instant, on veut trouver notre indépendance dans cette recherche. Il faudra qu’on aille chercher des paroles de l’expérience, des paroles du quotidien, des paroles de personnages avec qui on établit une relation de confiance, qu’on filme dans leur quotidien pour que leurs mots soient incarnés. C’est un travail beaucoup plus long que de téléphoner à des chercheurs pour leur demander : « Est-ce que je peux venir discuter avec toi du sujet ? ». Ça, c’est facile, ça ne prend pas beaucoup de temps et d’ailleurs, on ira probablement aussi les refilmer parce qu’au fil de l’écriture, on aura besoin de mettre en scène leurs paroles différemment.
BC : Par exemple, j’ai fait un film il y a très longtemps sur la question des gens à la rue et j’ai passé quatre mois au quotidien, tous les jours, dans la rue. Pas du tout en pseudo immersion, je ne me suis pas fait passer pour un SDF. J’étais très clair, je faisais ma tournée pour arriver à ce niveau de confiance. C’est sûr que quand tu t’adresses à des gens qui sont dans une forme de précarité ou d’exclusion, il y a énormément de défiance et il faut la gagner, cette confiance. Et que si tu ne l’as pas, tu ne pourras pas aller chercher dans le vécu, dans le geste, dans le quotidien, dans l’intime, ce qui va donner bien plus qu’un entretien posé avec trois projecteurs, qui va donner du corps et de la chair à l’histoire. Du coup, évidemment, il faut du temps, beaucoup de temps. Et donc, pour De Base, on a démarré par le plus facile, mais en même temps, conceptuellement, ça nous a permis de baliser le propos dans toute sa complexité, ses variantes, tous les débats internes. Par exemple le RSA à 400 euros, à 600 euros, un SMIC à 2500 euros, rien que ce débat-là, qui est chaque fois sous-tendu par des intentions différentes, des philosophies et des moyens différents à mettre en œuvre.
Il y a aussi la question très intéressante d’envisager les choses comme des processus et non comme une finalité de « lendemains qui chantent ». Notre idée, à laquelle je tiens, c’est d’engager un processus. On est dans un processus de machine arrière toute depuis les années 90, inéluctable, le marteau-pilon. Et là, ces derniers temps, toutes les semaines, ils nous sortent une nouvelle catastrophe. À l’époque, c’était au trimestre, après, ils sont passés au mois, maintenant, c’est à la semaine, et sans parler du pilonnage... Mais c’est peut-être qu’ils arrivent au bout de leur folie et c’est peut-être le moment pour une contre-attaque. Mais il faut sortir de la réaction. Il faut, comme au sport, prendre l’initiative. Il faut prendre le jeu et jouer, nous, avec nos désirs, nos espoirs, nos volontés. Et donc, c’est forcément un processus. Il faut défendre un processus, pas un lendemain qui chante. C’est l’intention fondamentale du projet : réenclencher un processus de désirs partagés. Et, quand on parle de ces utopies de revenus de base, revenus universels, salaires à vie, l’enjeu n’est pas de mettre en avant l’une plus que l’autre. Il est de permettre aux gens, aux spectateurs de la série, de se réapproprier tous les éléments qui leur permettront d’entrer dans le débat et effectivement, d’imaginer que c’est plus un processus qu’il va falloir lancer que de défendre une idée, de s’accrocher à elle et de ne voir arriver que celle-là. Il y aura probablement des étapes. Voilà. C’est vrai qu’en ce moment, c’est compliqué. On lance ça au moment où on a Gaza d’un côté, l’Ukraine de l’autre, les européennes qui arrivent et Marine Le Pen promise pour 2027.
ID : On peut apparaître comme de doux rêveurs, mais on essaie d’avoir le moral dans les choses chouettes (rires). Donnons-nous les moyens de nous approprier des outils pour agir.
BC : Pour faire la boucle sur les éléments de sémantique, je dirai qu’il y a deux choses. Il y en a une qui est dite dans un des teasers de De Base, à propos de la valeur. Il y a une femme qui garde son gamin à la maison et ça, ça a une valeur zéro. La même femme qui le confie à une nounou libérale, c’est de la valeur économique. Et la même femme qui le met à la garderie municipale, ça devient un coût pour la société. Donc, on a la même activité, le même objet, c’est-à-dire garder un gamin, s’occuper d’un gamin... Et d’un côté, ça ne vaut rien. De l’autre côté, c’est un business, c’est une valeur monétaire parce qu’il y a une facture, etc. Et le troisième, c’est du service public, donc : vous coûtez cher à la société. Voilà. La question c’est celle de la valeur, qu’est-ce qui a de la valeur ? Et l’autre, sur ce que Roland Gori appelle le « travail fantôme ». Par exemple, maintenant, il est acquis que quand tu vas à Carrefour, c’est toi qui vides ton caddie et qui le passe au scanner. Avec la numérisation du monde, maintenant, tu fais le boulot pour l’administration, tu fais le boulot pour les impôts. C’est toi qui imprimes ta feuille d’impôt sur ton papier, avec ton truc. Le transfert de travail vers les gens est hallucinant. C’est très étonnant.
Et pour terminer sur les films, pour que les gens participent éventuellement à leur production... Quel va être vraiment l’usage de ces films ? Qu’est-ce qu’il vont devenir, dans quel cercle ? Est-ce que ça va provoquer en France des débats, des conversations entre les gens ? Comment ça va se passer ?
BC : C’est l’objectif. D’ailleurs, on l’a déjà expérimenté dans le cadre de l’appel à financement du tournage et des teasers. Il y a trois semaines, nous étions à la fête annuelle des Faucheurs volontaires d’OGM, dans le Lot, qui est un haut lieu de résistance et de réflexion. On a montré cinq teasers, en plénière dans la grande salle, avec discussion.
ID : On avait invité Bénédicte Bonzy, anthropologue, qui fait un gros travail en ce moment sur le terrain avec les Restos du Coeur, sur les enjeux de sécurité sociale de l’alimentation. Ça fait partie d’une des garanties des moyens d’existence, la sécurité sociale de l’alimentation. Et donc, on l’avait invitée à réagir à ces cinq teasers avec Télémaque Masson, chercheur doctorant qui travaille avec nous, directement sur ces questions. Elle nous a rejoints dans notre set, nos deux heures, où il y avait 20 minutes de diffusion et une heure et demie de débat. Pus de la moitié de la salle participait. Et ça a été vraiment très, très riche, cette interaction. Et on a filmé... Les gens renvoyaient des choses sur leur situation, sur ce qu’ils vivaient, comment ils appréhendaient ces enjeux. Et ça alimente aussi le film. Ça reflète bien cette idée de recherche-action...
C’est, en gros, ce à quoi les gens peuvent s’attendre, c’est-à-dire non seulement participer à un film, mais aussi être conviés à venir parler lors des projections, etc., s’impliquer réellement ?
BC : Oui et être en capacité de s’approprier ces sujets éminemment complexes et très systémiques. Vraiment, ça permet d’aborder énormément de choses. Les enjeux de la production, les enjeux écologiques, environnementaux... Ça touche de manière très large à tous les projets sociétaux. Il s’agit de s’approprier les éléments qui vont permettre d’entrer dans le débat. Et effectivement, les films sont destinés à être diffusés dans des espaces pour générer des échanges.
Propos recueillis par NR
[1] L’auteur et metteur en scène burkinabé Jean-Pierre Guingané est mort, dimanche 24 janvier 2011, à Ouagadougou (Burkina Faso), à 64 ans. Il fut l’un des précurseurs du théâtre francophone d’Afrique noire. Né le 11 juillet 1947 à Garango, il a fait ses études supérieures à Ouagadougou, puis en France, à Bordeaux, où il a soutenu une thèse de doctorat d’Etat sur le thème : "Théâtre et développement culturel en Afrique : le cas du Burkina Faso". Tout en menant une carrière universitaire, il n’a cessé de faire du théâtre. Jean-Pierre Guingané a créé sa troupe, le Théâtre de la fraternité, en 1975, à Ouagadougou.
[2] À l’origine de ce concept, d’abord inventé par la française Renata Scant, il y a une équipe belge animée par le grand acteur culturel Paul Biot, qui a favorisé le développement d’activités théâtrales liées aux questions de société, partout dans le monde, et qui présente régulièrement des travaux dans le cadre d’un festival. https://www.federationtheatreaction.be/a-propos/
[3] Rituel de l’ancien empire Mandingue du Mali qui consiste à théâtraliser les problème des gens d’un village, utilisé à l’hôpital psychiatrique du Point G pour traiter collectivement des groupes de personnes atteintes de maladies mentales.
[4] Écrivain, historien et ethnologue malien, figure influente de la littérature et du patrimoine culturel africain du XXe siècle, défenseur de la tradition orale et des savoirs ancestraux.
Après avoir passé le cap du numéro 10, on continue notre chemin. On a manifesté en soutien au peuple palestinien, contre la loi immigration, et pris part à des rassemblements contre ...lire la suite