Sa disparition est passée bien inaperçue, sauf peut-être à Bordeaux.
Pourtant, cet homme a joué un rôle essentiel dans le dépoussiérage des scènes françaises, leur ouverture au monde, aux chapiteaux, à la rue, à l’irruption des technologies comme aux fondamentaux revisités de la rue et du cirque.
Pour mémoire, SIGMA à Bordeaux, c’est le festival qui , dès sa première édition, en 1965, lançait la thématique "art et technologie" à l’époque où l’ordinateur n’était poru beaucoup qu’un lointain fantasme dans les romans de Norman Spinrad ou Philip K Dick.
C’est l’homme qui, dans la ville compassée de Mauriac et du vin, et à l’époque où Chaban-Delmas était déjà encore maire, fit venir Pierre Schaeffer, Aligre puis Zingaro, la Fura des Baus, le Taller d’Amsterdam, Régine Chopinot, Carlotta Ikeda, Volière Dromesko et tant d’autres. Je n’en ai connu que les dix dernières années ; je lui dois des émerveillements, des fulgurances, des étonnements. Et peu importe les déceptions, peu importe l’essoufflement qui frappe le découvreur quand trop de suiveurs se sont engouffrés sur les chemins frayés.
De SIGMA, j’ai encore des images, des sensations, des émotions. Et je garde surtout le souvenir de son fondateur. Roger Lafosse, l’homme aux trois solex, la générosité et la curiosité faite homme. Celui qui , dans la si social libérale, si consensuelle, si fun, si lookée année 80, pourfendait le mitterrandisme. L’homme qui s’élevait contre les "satrapes de la culture" lorgnant sa place à Bordeaux.
SIGMA a disparu quand Bordeaux a changé de maire, sablé ses façades, relooké ses quartiers (parfois pour le meilleurs, souvent pour l’aseptisation). Les jeunes compagnies et artistes nés dans le sillage de SIGMA ont assez vite enterré le père. mais qui l’a remplacé ? Sûrement pas de l’événementiel sage derrière ses barrières Vauban, ni le très hype et marchand Evento, ni le très consensuel Nov’art.
L’époque n’est pas aux défricheurs, aux découvreurs, aux audaces défrisant le poujadisme ambiant. Sauf si ces audaces de forme restent sagement cantonnées au white cube des lieux d’art contemporain. Avec Lafosse, elles envahissaient la rue, parlaient espagnol, russe, portugais, italien, japonais...
Il aura été inspirateur. Difficile, pourtant de lui trouver des héritiers, sinon peut-être parmi les trublions qui ne se satisfont pas d’arts de la rue bornés aux normes sécuritaires, de Fantazio à Ici même, des Yes men aux Brigades d’intervention des clowns et à notre ami Livchine du Théâtre de l’Unité.
Salut à toi Roger. Ton immense qualité, c’est d’avoir été un inventeur, un acteur au service des artistes et des gens, jamais un "ingénieur’ ou un "manager" culturel. Cela devient rare : On aimerait, à notre époque, avoir plus souvent affaire à des Roger Laffosse qu’à des Didier Fusilier...
Je te dois quelques-unes de mes plus belles rencontres et le goût de mon métier.
Valérie de Saint-Do