Amis, je vous dois un coming out : je suis une droguée d’internet.
Je passe donc, en ce moment, beaucoup de temps à suivre différents blogueurs politiques,– de gauche, je ne suis pas masochiste, sauf pour les besoins de l’information– sur leurs sites respectifs, mais aussi sur twitter et facebook.
J’ai donc assisté – avec consternation– aux réactions de certains militants, responsables et blogueurs de gauche sur les annonces de Martine Aubry sur la culture.
Entendons-nous bien : j’ai à redire à ces annonces dont la presse n’a retenu que l’aspect quantitatif (Ouah, + 30 à 50% pour le budget de la culture !). Je déplore que la candidate du Parti socialiste ne clarifie pas davantage quelle culture elle veut aider, qu’elle se cantonne à un discours qui ne désespère ni le Syndéac ni les Billancourt de la culture, et qu’elle nous sorte la tarte à la crème de l’économie de la connaissance dont les pires avatars (niaiserie de l’économie mauve des fonds d’investissements et Davos de la culture) sont extrêmement dangereux. Et qu’elle tombe à pieds joint dans l’éloge du mécénat qui n’est que la privatisation du la politique culturelle à coup de cadeaux fiscaux pour la communication des entreprises. À cet égard, le Front de gauche et l’appel de Jean-Luc Mélenchon à une contreculture ont le mérite de clarifier les choses.
Pour autant, des réactions très similaires à celles de la droite, me désespère.
"La priorité, c’est l’économique et le social", bêlent-ils en chœur– quand ils n’entonnent pas le mantra libéral visant à tétaniser toute politique de gauche au nom de "la dette". Réduire les inégalités, refuser la pauvreté et la précarité dans un pays riche, assurer un toit à tout le monde, en finir avec la privatisation du bien public, maintenir et améliorer les acquis du Conseil national de la résistance, oui, c’est le minimum vital exigé d’un programme qui se prétend de gauche. Ce ne devrait même pas être à rappeler.
Pour autant, les "priorités" de ces détracteurs de la culture sont le degré zéro d’une pensée qui se voudrait à gauche et illustrent remarquablement l’adage de Mark Twain repris par Serge Latouche : "Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes en forme de clou.""Et le clou de l’Occident, c’est l"économie", ajoute Serge Latouche.
Parce que désolé de vous le dire, les amis "de gauche" pour qui "la culture, ça passe après l’économie", votre obsession unique du "pouvoir d’achat", de "l’emploi", sans approfondissement, cela ressemble fort à un slogan sarkozyste. Au hasard, "travailler plus pour gagner plus ?"
Votre idéal, c’est le retour aux Trente glorieuses ? À L’OS méritant de chez Renault ?
Un emploi pour tous, oui, mais quel emploi ? Derrière la réindustrialisaiton que vous appelez de vos vœux, est-ce le retour du travail à la chaîne ? Est-ce le productivisme forcené au dépens de la planète ? Réfléchit-on aussi à la nature et au sens du travail,en relisant les travaux d’André Gorz sur le rapport entre travail et activité, ou déclare-t-on une fois pour toutes que le travail salarié, fut-il pénible et abrutissant, c’est l’alpha et l’oméga de la pensée de gauche ?
Un toit pour tous, c’est le minimum, et une fois qu’on a prôné un grand programme de logements sociaux, est-ce qu’on reproduit les clapiers à lapins des années soixante concédée par la bureaucratie des sociétés HLM ? Ou une réflexion intelligente sur une autre politique de l’aménagement du territoire et une construction associant les habitants à la conception de leurs maison (coopératives d’habitants, autoconstruction ?)
La sauvegarde du système de santé bousillé par la politique libérale et le désastre de la RGPP : et-ce qu’on se penche aussi sur le désastre d’une vision purement mécaniste et technique de la médecine au détriment de la relation entre le soignant et le soigné ?
Les retraites et le temps de travail : est -ce que les RTT et la retraite, c’est juste la réparation de la destruction de l’humain par un travail abrutissant ?
Eh oui, le travail, comme le logement, comme l’espace public, comme la santé sont aussi des questions culturelles. Qui exigeraient un peu plus d’imagination et une autre ambition que les sempiternels slogans "halte au chômage et à la précarité ", "un toit pour tous", "notre pouvoir d’achat". Qui demandent à la gauche un considérable effort d’imagination, que ça et là certains ont entrepris, mais fragmentairement et partiellement : Eva Joly, Arnaud Montebourg, le Front de gauche, le mouvement Utopia, les Décroissants, ATTAC...
À quoi sert la gauche, si elle se cantonne à une légère amélioration de l’existant et à un "c’était mieux avant sans imaginaire d’une autre civilisation ? Si elle se révèle incapable de forger ce nouvel imaginaire de gauche que que l’excellent Yves Citton* appelle de ses voeux ?
Sortons de ce "réalisme" mortifère et demandons la lune !
Ces questions culturelles, bon nombre d’artistes, d’écrivains, de penseurs préoccupés par autre chose que leur nombril (si si, il en existe) y apportent leur grain de sel en se mêlant de ce qui les regarde. Qu’on se souvienne , pour ne citer que ce seul exemple parmi des centaines d’autres, du splendide Manifeste pour les produits de Haute nécessité signé des écrivains antillais menés par Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau.
De même que des penseurs tels que Bernard Stiegler, Cassandres à notre image alertent depuis longtemps sur la catastrophe annoncée.
Car je crains avec Serge Latouche, que la seule chose qui puisse sauver une gauche atrophiée de l’imaginaire soit la pédagogie de la catastrophe. Catastrophe environnementale, qui aurait du depuis longtemps permettre d’un finir avec l’idéologie de la croissance. Catastrophe civilisationnelle dont on voit les effets –en Europe avec de nombreux partis pudiquement appelés populistes, et aux USA avec le Tea party– avec la montée généralisée d’un fascisme qui vient de passer à l’acte en Norvège.
Au delà de la lobotomie opérée par les propagandistes du rejet de l’autre et de la supériorité de la civilisation occidentale (n’est ce pas Zemmour, Finkielkraut, Elisabeth Lévy, Robert Ménard, Ivan Rioufol ?) ce retour à la barbarie interroge la pensée de l’altérité, les ravages d’une industrie du divertissement décervelante, l’incapacité à une réponse collective face à une atomisation de la société qui engendre des monstruosités.
Alors, la culture - au sens anthropologique de ce qui permet à chacun de se situer dans le monde, de s’émanciper des déterminismes de SA culture et d’agir sur le réel, ce serait un luxe ?
Juste un cadeau fait aux consommateurs de spectacles, d’exposition, de musique ?
Ou, comme le dit la philosophe Marie-José Mondzain*, la condition même de l’existence du politique ?
Valérie de Saint-Do
Lire leurs entretiens dans Cassandre/Horschamp n°82 : Le procès de l’art
Dernière minute : le lendemain de la publication de cet article, paraissait une intéressante tribune d’Arnaud Montebourg sur la la culture dans Libération.