Retours est un spectacle fragmentaire qui explore l’insondable des fantasmes de parents livrés à la disparition de leur fils Gustav. Les acteurs disent le texte de manière mécanique, sans affects, modulant des mots insignifiants face au gouffre d’une indicible souffrance.
Un personnage énigmatique, sorte d’incarnation du destin qui tire les ficelles dans l’ombre, dit les didascalies et impose les silences. Il circule comme un fantôme du plateau à la salle, il s’amuse, dirait-on, du drame, et compatit parfois aussi. Gustav le fils, a disparu. Dans cet abîme tous les scénarios de retours s’enchaînent et se percutent.
Il ne faut pas chercher une chronologie, ni la réalité des évènements, seule compte la vérité de ces parents qui finissent par haïr cet enfant disparu. Les belles retrouvailles rêvées s’effritent avec le désespoir. Les personnages s’accrochent au quotidien, empêchant toute effraction de la douleur. Il se fixent sur le chien du voisin, les repas, le travail, et la répétition qui signe le flux de la vie.
Seule la parole poétique prononcée par Arlette Desmots (metteure en scène du spectacle) assise à jardin dans le public, témoigne d’une distorsion de la langue qui cherche à dire quelque chose de cette douleur trop grande pour eux.
Paradoxalement le fils a un jeu plus « vivant » car il échappe au drame de ses parents. Il est l’objet du drame, pas le sujet. Lui voudrait juste revenir et reprendre le cours de sa vie d’avant ; réparer sa mobylette, manger avec ses parents et aller au lycée.
À chaque retour il raconte une nouvelle version de sa disparition et disparaît à nouveau. La dernière fois, il n’a plus de couvert pour lui sur la table. (Je cite de tête) :
Il finira par voler une pomme de terre dans la casserole familiale et s’étouffer avec tandis que ses parents, indifférents, continuent leur repas en échangeant des banalités. Mais le fils revient à la vie, alors les parents l’étranglent méthodiquement dans une scène aussi absurde et drôle que cruelle. Gustav n’a plus sa place parce que l’angoisse a pris toute la place.
Cette collision entre la petite mécanique d’un quotidien désaffecté et la demande d’amour du fils à son retour crée une distance d’où nait l’absurde et même le rire. La lumière est crue, les costumes évoquent un milieu petit-bourgeois engoncé dans les conventions et le paraître. Il y a quelque chose de glaçant dans leur obstination à se tenir debout et figés corps et voix. Il ne faut rien laisser paraître sous peine de s’effondrer définitivement. Tout est mort parce que la mort les hante. Le retour de Gustav est impossible parce qu’il ferait s’écrouler l’armure qui contient la douleur.
Combien de morts-vivants croisons-nous chaque jour, qui répètent des banalités en souriant et qui subitement égorgent leur voisin parce que son chien aboie trop fort ?
Cette pièce dit quelque chose de la manière dont l’émotion éradiquée déshumanise et instille dans nos chairs la haine et la violence. Elle dit aussi le kaléïdoscope des fantasmes et leur tissage permanent avec le réel.
Je me suis protégée au début de cet univers étrange et déroutant, avant de réaliser à quel point il m’était cruellement familier. Le public nombreux était enthousiaste. Le Théâtre de la Reine Blanche est un lieu décidément très recommandable. Faites l’expérience et envoyez-moi vite vos réactions, ça se termine samedi !
Karine Mazel
Retours, traduction Terje Sinding, mise en scène Arlette Desmots, création musicale Philippe Mion, avec Géry Clappier, Fabrice Clément, Majida Ghomari, Agnès Trédé,
voix off en direct Arlette Desmots, sonorisation en direct Laure Bollinger / Philippe Mion
création lumière Tristan Ligen, photographie Badr Boukikaz.
Du 07 au 18 janvier 2020
du mardi au dimanche : 19h
. Relâche le 14 janvier
Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis, Passage Ruelle, Paris, 75018 -
01 42 05 47 31
https://www.reineblanche.com
15 janvier après la représentation : bord-plateau en présence de l’auteur
Tarifs=
20.€ → Plein
15€ → Réduit ( séniors | résidents du 18e | Pôle emploi | étudiants et minima sociaux )
10€.