La pétition « musiques en vrac » (http://musiques-en-vrac.blogspot.com/ ) contient des rigidités, des crispations esthétiques, autour de réalités que nul ne nie : l’abandon à peu près complet de l’aide à la création musicale, en dehors des grandes institutions dédiées. Pour autant, les signataires semblent ignorer un élément important : il n’y a pas de « mauvais genre » en art. Il y a parfois de mauvais artistes… et puis, être « les classiques de demain » est une ambition de trou du cul.
Il y a des grands artistes dans tous les genres et ce sont les artistes d’aujourd’hui, qui parlent aux humains d’aujourd’hui. Cela seul compte. Et, sans doute, on aurait aimé que Maurice Fanon jeune, ou Colette Magny jeune, fussent aidés pour écrire et créer, en leur temps.
La pétition en retour, « Soutien à la création musicale : oui ! et sous toutes ses formes… » ( http://www.tache-aveugle.net/spip.php?article283 ), pleine de bonnes intentions, risque fort, en revanche, de tomber dans un éclectisme flou où tout se vaudrait. On n’en voudra pour preuve que cette affirmation selon laquelle il suffit de « faire se rencontrer deux traditions musicales différentes » pour avoir un projet artistique de « recherche », innovant et devant être soutenu.
Les signataires, ignorent également le fait que certaines musiques sont effectivement récupérées par le circuit le plus commercial, alors que d’autres ne le sont pas et ne peuvent pas l’être, par excès d’exigence, peut-être.
Les exemples d’artistes de musique « actuelle », repérés, aidés, soutenus par le circuit des salles publiques et des aides publiques, et qui, le succès venu, pratiquent des tarifs inaccessibles aux lieux de taille moyenne, et demandent des cachets monstrueux, soumis qu’ils sont devenus à des producteurs squales, ces exemples-là abondent trop pour qu’on ne se méfie pas un peu au départ. Ça ne risque que très peu de se produire dans le cas des musiques dites « contemporaines »
La question de fond ne serait-elle pas en définitive ailleurs ?
Sait-on que dans l’immense majorité des cas, les musiciens que l’on entend en concert ne sont tout simplement pas payés du tout ? Qu’ils jouent « au chapeau » dans le meilleur des cas pour « se faire connaître », même s’ils tournent depuis dix ans ? Et qu’on ne me dise pas qu’ils n’ont pas de talent, il suffit d’aller les entendre…
Sait-on que la grande « fête de la musique » prévue la semaine prochaine est également basée sur le bénévolat des musiciens ?
Sait-on qu’à côté des quelques grands orchestres où quelques musiciens sont surprotégés, où ils cumulent les cachets, les cours, et les « affaires », l’immense majorité des musiciens, tous genres confondus, vit dans la précarité de l’intermittence, une situation en pleine dégradation ?
Sait-on qu’il n’y a guère, en France, que trois ou quatre compositeurs de musique « contemporaine » qui vivent de leur œuvre ?. Les autres enseignent, critiquent, créent des ensembles pour jouer leur musique.
Bref, il y a des artistes plus qu’honorables dans les deux listes de signataires, même si certains sont placés ici ou là de manière surprenante, mais peut-être devraient-ils tous prendre les choses au commencement.
La question n’est pas, n’est plus de savoir qui seront les heureux élus d’une aide publique en voie d’assèchement, mais qui pourra vivre de son art demain ? Et, du coup, quel public aura accès aux recherches, aux créations, extraordinairement multiples, de la contemporaine au jazz, de la chanson aux musiques « du monde » (comme s’il y en avait « hors du monde »), qui vivent déjà dans une clandestinité lamentable aujourd’hui ?
Je ne signerai aucune de ces deux pétitions, toutes deux centristes à leur façon, mais le jour où les musiciens en colère descendront jouer dans la rue jusqu’à faire tomber les murs du ministère et de l’Élysée, j’y serai pour souffler dans le premier biniou venu, avec eux.
Michel Thion