Tout semblait immobile. C’est le titre. Il vous démange immédiatement d’y ajouter une suite : ‘Quand tout à coup… » (on ferait suivre d’un verbe au passé-simple).
Trois universitaires sont venus donner une conférence sur le conte, dans une salle polyvalente. On ne se méfie jamais assez des salles polyvalentes : celle-ci respecte son statut en produisant du merveilleux. Cela démarre par une hésitation sur l’accidentel, et se déploie quand la toute jeune chercheuse ne peut pas dire son analyse. Il y a des chutes, des extinctions des feux, un renard en céramique, et un piano droit. Il y a des corps qui qui deviennent des terrains de jeux, et les cailloux du Petit Poucet comme une pluie de signes, où le chemin se noie.
La tentation est grande, d’interpréter le propos du spectacle monté par Nathalie Béasse.
On pourrait y trouver par exemple une très belle mise en balance des types de savoirs véhiculés par le discours scientifique, jalons descriptifs d’un état de la pensée, et par ce condensé symbolique d’expériences qu’est le conte. Si la recherche produit une grille de lecture du monde, immédiatement mobilisable, et pour un temps figé en connaissances sûres, le savoir du conte est à déflagration progressive. L’inconscient vient puiser dans les scènes du récit initiatique les répartitions de rôles attendus, et les lois de structuration du sujet, mais seulement à mesure que vivre le lui rend nécessaire, et apte à les interpréter.
Dans un ordre d’idées complémentaire, il se glisse aussi dans Tout semblait immobile quelques remarques, jamais dites, sur la littérature orale, qui impose de réactualiser sans cesse en contexte son propos, et bondit de formules en formules, sans que celle-ci soient assurées (1), ou sur le fonctionnement du texte, qui n’atteint jamais que par bribes son destinataire. Cela se dit en scènes jouées, en images et en interruptions de discours.
Donc, ce spectacle cause.
Mais ce n’est pas la raison pour laquelle on a envie d’y inviter des amis. Tout semblait immobile est extrêmement drôle, sans que le rire y soit jamais ricanant, ou obèse. Cela ne pose pas, ce ne sent jamais non plus l’entre-soi, c’est ouvert et fourmillant de symboles qui laissent libres de les interpréter, ou pas, à son gré. Les comédiens : Camille Trophème, Etienne Fague, Erik Gerken, ne s’interposent jamais entre vous et le plaisir.
De sorte qu’on ne se trouve plus dans la machinerie lourde du spectaculaire, mais cet espace allégé où le sens se propose. On peut alors y rire sans arrière-pensées.
(1) Et Rosette a vécu ce que vivent les roses… étant nettement moins coulant à l’oreille, le bon monsieur Ronsard aurait ainsi saisi au vol une erreur de copiste.