Deux blocs se font face, se confrontent, se déchirent, se testent à mort comme deux clans archaïques enclos dans un même corps difforme.
Tout ça c’est ce qu’on appelle l’être humain, monstre à deux têtes, ventre gros de ce qu’il ignore, sac grossièrement ficelé où s’agitent les jumeaux ennemis. L’un, parce qu’il croit à l’intelligence supérieure du serpent, à la vitesse, à la compétition, la cruauté, à l’absence de réalité des valeurs, à l’efficacité de la domination, au succès facile et rapide de l’éclair qui frappe et dissémine, à l’efficacité absolue du mensonge, veut détruire à jamais la fragilité qui ferait de lui un pauvre humain plein d’âme, tout ralenti par son hésitation devant le grand et vieux mystère.
Et tout lui donne raison. Tout ça a fait ses preuves, il a construit tous les outils pour ça et toutes les armes, tout ça a prévalu pendant des millénaires de sang dont nous sommes tachés. L’autre se dit encore qu’il est possible que Lao, Lie, Tchouang et tous les autres Tseu n’aient pas tout à fait tort en amenant le yang au yin, ou même le Christ, ce drôle d’accident incongru, ce qui est loin d’être prouvé et quand bien même ça le serait, ça prend du temps, beaucoup de temps. Qui survivra à la confrontation des frères qui voudraient s’ignorer, mais se haïssent et se méprisent, habitant un même corps ?
Quel genre d’humanité pourra sortir de là ? C’est la question que pose notre sphinx, c’est l’énigme. Si l’enjeu est de vérifier que le deuxième est doté d’une patience infinie, d’une compréhension sans limite, apte à une écoute extraordinairement humble, que là réside sa force, que les vraies capacités de l’être humain se trouvent de ce côté, alors la pression du prédateur idiot ne fera que confirmer cette force ultime, au-delà de tous les massacres à venir. Cette pression invivable développera encore la puissance de cet incompréhensible, absurde, sublime, amour de la faiblesse et de la fragilité, unique dans toute la création, qui fait de nous, malgré le ridicule de notre état, de vrais êtres humain.
Nicolas Roméas