À un responsable de festival qui m’avait gentiment invité, je demandais pourquoi les poètes n’étaient pas payés alors que les musiciens l’étaient.
La gentille personne m’a répondu cet aphorisme terrassant, « Les poètes vivent tous d’autre chose… » et ajoutant l’ignorance crasse à l’inconscience brutale, elle ajoutait : les musiciens, eux, ne peuvent pas vivre d’autre chose, ils doivent travailler leur musique.
Chacun le sait, un poète possède une muse, perchée sur son épaule, qui fait des « gloung gloung… » avec sa lyre et lui dicte ses poèmes.
Pour les responsables de ce festival, il ne saurait être question de travail d’écriture, de temps de recherche, d’élaboration, de travail sur la langue, etc… l’idée qu’un poète puisse souhaiter vivre de son écriture est un fantasme ignorant des réalités économiques.
Je ne cite pas ce festival en particulier, subventionné par un conseil général, un conseil régional, parce qu’au fond, il n’est pas pire que bien des lieux accueillant des poètes. Il est de respectables institutions, des « maisons de la poésie » vivant d’argent public, avec locaux et personnel dûment payés (c’est normal, d’ailleurs), des bibliothèques publiques vivant à 100% d’argent public, qui pratiquent la même exploitation sauvage.
Je pense à cette bibliothécaire du Rhône qui me disait, la bouche en cœur, « vous comprenez, les comédiens qui font des lectures, on les paye, parce que c’est normal, mais les auteurs, on ne les paye pas, parce que ça les aide (sic !). »
Il en est aussi d’autres, de minuscules festivals, de toutes petites associations, très peu ou pas subventionnés, qui payent les poètes au tarif de la charte, en s’excusant de ne pouvoir faire mieux. Comment font-ils ? Par quel miracle arrivent-ils à se dire que, pour défendre la poésie il faut que les poètes en vivent, même partiellement et que le début de toute défense de la poésie passe par là.
Souvent, nous allons lire sans être payés, dans un café, dans un lieu marginal, pour rencontrer des amis de la poésie, pour aider quelqu’un à démarrer une activité poétique, pour le plaisir, mais on choisit, ce sont des lieux pauvres, sans aide publique, et, pour un repas, pour un coup à boire, nous y manifestons la vie de la poésie malgré tout.
Alors cette consternante affirmation, assénée avec un sourire satisfait, aura été la goutte de vinaigre en trop.
Je choisis mon militantisme, je continuerai à aller lire à l’œil chez des amis, chez de jeunes associations, qui lancent des initiatives poétiques, pour le plaisir, pour la vie.
J’ai, durant 25 ans, dirigé des lieux culturels subventionnés et jamais je n’ai invité un artiste sans le payer, ni même « à la recette », conscient du fait que, dans ces lieux, ordinaires, pas de grand lieu, pas de grand théâtre, on arrive à peine à consacrer 20 à 25 % du budget aux rémunérations des artistes, et que c’est déjà, en soi, un scandale .
Encore aujourd’hui, dans la situation actuelle bien connue de la culture, au fond d’une province du sud, notre association au budget qui tient sur un timbre-poste, organise régulièrement des soi-rées où les poètes sont accueillis et payés normalement.
Je n’irai donc plus lire gratuitement dans des lieux, des festivals, des maisons subventionnées, des bibliothèques, vivant d’argent public, employant des personnels, fonctionnaires titulaires, ou en CDI, payés chaque mois pour défendre un art pauvre, précaire, en grande difficulté, ignoré de la presse « littéraire » et qui le font en pressurant de plus pauvres qu’eux.
Et pour un peu, il faudrait qu’on les plaigne !
Ça suffit, ça suffit vraiment, et j’invite mes amis poètes à boycotter ces lieux qui, avec leurs sourires sympathiques, leurs lamentations sur le peu de moyens qu’ils ont, la complicité intéressée qu’ils cherchent à établir avec les poètes, en deviennent de lamentables mouroirs de la poésie.
Michel Thion