Nous sommes en manque, en manque de beauté gratuite chargée de sens, nous sommes en manque de riches conversations, d’allers-retours, de paroles, de moments d’échange et d’émotion qui nous permettent de ressentir que nous appartenons à la communauté des humains. Et que nous avons des choses à faire ensemble. Le geste artistique sert à ça, s’il produit de la beauté, c’est dans ce but. C’est notre premier outil de civilisation,
le plus efficace, dans toutes les cultures. Ce dont nous avons impérativement besoin, si nous voulons, ensemble, devenir non seulement un peu plus intelligents, un peu mieux informés, mais aussi plus à l’écoute de nos diverses sensibilités et tenter d’avoir un peu prise sur nos existences, c’est de circulation, d’échanges, de moments de bonheur et d’apprentissage vécus collectivement. Nous proposons d’aider à coordonner un très vaste chantier populaire, permettant de faire circuler les gestes, les sons, les formes
et les mots, hors de modalités marchandes et de la seule notion de spectacle.
« [...]Les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d’agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, les preneurs d’âmes, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser, ou, comme dit Virilio, d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes. »
Gilles Deleuze - L’abécédaire, avec Claire Parnet
L’idée que nous lançons aujourd’hui est ouverte, elle n’appartient à personne et est destinée
à tous, nous proposons juste un intitulé : L’art, principe actif, pour nommer et tenter de fédé-
rer les actions. Elle est simple : faire circuler partout (surtout dans les lieux qui en manquent) et le plus souvent possible, des moments artistiques autour de thèmes importants qui nous concernent tous, avec la volonté que ces moments soient d’abord propices à l’échange et suivis de celui-ci. Avec une certaine dose de joie de préférence et dans l’esprit de ce qu’on appelle l’éducation populaire, dans l’acception large et bien comprise du cher et vieux syntagme.
Principe
Il n’y aura pas ici de chef, ni aucun enjeu financier ou de pouvoir, l’économie devra être solidaire,
le fonctionnement sera construit sur l’engagement de chacun, avec les outils dont chacun dispose. Ceux qui ont des moyens aident ceux qui n’en ont pas, est le principe. Il faut sortir d’un système de concurrence artistique qu’on nous impose et qui ne répond pas à nos aspirations. Il s’agit d’œuvrer ensemble à ouvrir les esprits par la pensée et le sensible. Nous nous donnerons pour mission d’in-
former régulièrement sur les actions, de faire le lien entre les initiatives et narrer ici même le récit de ces aventures. Malgré le manque de moyens, un certain nombre d’équipes valeureuses persévère depuis longtemps à mener un travail dans cet esprit : nous leur proposons d’entraîner d’autres groupes d’artistes dans un mouvement d’envergure nationale. Il est très important que les
collectifs artistiques se rencontrent, apprennent les uns des autres (et de leurs complé-
mentarités), pour élaborer ensemble des stratégies d’action communes.
Le principe général sera de se retrouver le plus souvent possible, partout, dans des lieux divers, notamment en milieux ruraux isolés, autour de moments artistiques de tous genres évoquant ce temps de l’Histoire humaine dans lequel nous sommes embarqués ensemble, chacun à sa ma-
nière. Quoi de plus approprié, pour échanger en profondeur, que les outils du symbolique, qui
vont de la marionnette à la danse et l’opéra, en passant par la philosophie et la littérature ?
Outils du symbolique
Ce que nous appelons outils du symbolique [1] ne regroupe pas uniquement ce qu’on a coutume d’appeler Art, (en l’affublant souvent d’un A majucule), qui semble surplomber la collectivité, et la plupart du temps ne nous y laisse jouer qu’un rôle de spectateur et/ou de consommateur plus ou moins éclairé. Les « outils du symbolique » veulent désigner l’ensemble de ces langages qui tentent d’exprimer de différentes façons l’indicible, qui ne se cantonnent pas ni ne s’adressent au seul intellect, nous parlent à la fois sur le plan des idées et des émotions, et dont la valeur ne peut jamais se mesurer de façon quantitative. Il n’est évidemment pas question ici de productions réservées à une élite « cultivée », mais de gestes réellement adressés à tous, sans exception.
Il faut maintenant réinventer - loin des circuits commerciaux et des dénominations appauvrissantes comme « socio-culturel » -, une noble et puissante pratique
populaire du geste artistique.
Le désir que nous manifestons est plein d’ambition en ces temps plus qu’incertains, et
nous serons heureux s’il parvient à faire naître quelques instants de joie, de partage, de
savoir et de grâce. Nous savons que ça n’est pas rien et c’est là que nous pouvons agir.
Méthode
Si vous disposez d’un lieu, même peu adapté au spectacle, [2] nous vous suggérons de le mettre, pour une soirée ou deux, à la disposition d’équipes artistiques de toutes disciplines, profession-
nelles ou amateures, travaillant sur des thèmes concernant l’évolution passée, actuelle et future
de nos sociétés, sans aucune limite de genres ou de techniques, en les mêlant quand c’est possible. C’est l’occasion de rencontrer d’autres artistes venus d’ailleurs et pour le public qui vous suit de participer à une expérience différente, de partager des points de vue sur l’état du monde et de comprendre que votre travail n’est pas isolé, qu’il fait partie d’un vaste ensemble.
Si vous êtes membre d’une équipe artistique, nous vous incitons à travailler sur des thématiques touchant à l’évolution possible et souhaitable de nos sociétés, aux dangers qui nous guettent, aux outils dont nous disposons et aux possibilités que nous distinguons parfois mal - ce que vous faites peut-être déjà et alors une partie du travail est réalisée [3]-, et de vous mettre en lien avec un certain nombre de lieux participant au Chantier de L’art, principe actif.
Si vous êtes dans ces deux cas à la fois, nous vous proposons de mettre en place un accueil et un soutien réciproque dans les réseaux respectifs de chacun, de façon à faire circuler intensivement les idées et les formes à travers tout le pays (voire éventuellement plus largement encore), en privilégiant ce qu’on nomme les déserts culturels.
Si vous n’êtes dans aucun de ces cas mais que l’initiative vous semble utile, aidez-nous à la faire connaître et à mettre les uns et les autres en contact.
Thématiques
Les thématiques liées à la marche de la société pouvant contribuer à ouvrir les débats sont évidemment très nombreuses, quelques-unes viennent immédiatement à l’esprit : Travailler, qu’est-ce que c’est ? La politique, qu’est-ce que c’est ? L’argent, qu’est-ce que c’est ? La gratuité, qu’est-ce que c’est ? La domination, qu’est-ce que c’est ? Une famille, qu’est-ce que c’est ? Être un humain, qu’est-ce que c’est ? etc., etc. Puisque nous parlons ici d’un chantier artistique, il ne s’agi-
rait pas, a priori, de se limiter à un procédé didactique ou explicatif, mais de passer par le geste artistique pour transmettre le sens par l’émotion, au-delà des raisonnements et des discours.
Vétérans et novices
De nombreuses équipes artistiques travaillent déjà, parfois depuis très longtemps, sur
des thématiques étroitement liées à des questions de société - dans une certaine invisibilité médiatique -, avec cet esprit d’ouverture à de grandes conversations. Nous leur proposons de se coordonner, hors de tout aspect commercial, avec des lieux d’accueil situés partout dans le pays - qui ne sont pas forcément des théâtres, mais tous les lieux possibles qui le souhaitent : MJC, maisons de la culture, jardins, granges, anciennes usines, places de villages, salles des fêtes, etc., etc. sans aucune restriction. Ces actions gratuites peuvent avoir lieu ponctuellement, parallè-
lement au travail habituel des équipes. Le seul impératif étant le désir de faire vivre d’intenses moments de partage suivis de paroles libres, afin de toucher les âmes et faire avancer les esprits. Notre intention ici, est que le geste artistique redevienne avant tout ce qu’il est fondamentalement et que nous avons de plus en plus tendance à oublier : un vecteur d’autre chose que lui-même, où l’échange entre tous est l’objectif premier. Un prétexte pour rencontrer chez l’autre ce qu’il a de meilleur, reconnaître nos valeurs communes. Nous élever au-dessus de nos égoïsmes et débattre ensemble de questions cruciales pour chacun, que l’urgence du temps rend brûlantes.
Façons de faire
D’un point de vue pratique, l’idée est de produire des formes simples, économiques, très légères, faciles à mettre en place et peu onéreuses à transporter, qui serviront de base et de départ à une Grande conversation entre tous les participants présents, artistes et « publics » confondus. Il s’agit donc de recourir le moins possible à la technologie, en se passant autant que possible d’ampli-
fication du son, de scénographie lourde et d’éclairages complexes et coûteux.
Avec tous, pour tous et par tous
L’objectif est de partager un moment artistique avec un « public » le plus proche possible. Un « public » qui ne soit pas une foule trop importante, d’une centaine de personnes au maximum, de façon à pouvoir rester ensemble et s’écouter, à partir d’un moment partagé, à l’issue duquel chacun pourra prendre la parole s’il le souhaite. Une causerie expliquant la démarche et présentant les artistes pourra être organisée en amont, permettant aux personnes intéressées de se préparer à ne pas être, cette fois-ci, seulement des spectateurs, mais vraiment des participants. Il semble bien que le cercle - ou le demi-cercle - soit la forme la mieux appropriée à cet échange - et les bals populaires joyeux sont parfois un dénouement merveilleux.
NR
Si vous êtes sensible à la démarche ici rapidement ébauchée et souhaitez que nous vous mettions en rapport avec des lieux ou des équipes artistiques qui désirent s’impliquer dans ces échanges, écrivez-nous à principeactif (at) linsatiable.org.
[1] ( pour élargir le champ et dépasser l’obstacle des polémiques sans fin autour des mots art et culture )
[2] (dépassons la notion de spectacle, il est temps)
[3] ( et dans ce cas vous êtes évidemment concerné.e.s au premier chef et le mouvement s’impulsera grâce à votre expérience et votre savoir-faire )
Après avoir passé le cap du numéro 10, on continue notre chemin. On a manifesté en soutien au peuple palestinien, contre la loi immigration, et pris part à des rassemblements contre ...lire la suite