Où sont passées nos utopies ? Depuis la fin du régime soviétique, proposer un projet de société hors des normes du capitalisme semble inimaginable. Nous habitons dans un monde néolibéral. Qu’on se le dise. Depuis son arrivée en France en 1985, Enzo Traverso n’a cessé de critiquer la réinterprétation partiale et partielle de l’histoire du XXe siècle menée par une école de pensée anticommuniste. Souvent isolé face à cette tendance de l’intelligentsia française, l’ancien étudiant d’extrême gauche italien devenu professeur de sciences politiques à l’université d’Amiens n’a pas acquis sa reconnaissance dans l’Hexagone. Sa pensée et son engagement dérangent les tabous français, notamment lorsqu’il fait des massacres coloniaux un laboratoire des violences nazies. Au regard de ses travaux sur le nazisme, le totalitarisme et les intellectuels juifs et marxistes, cette marginalisation est grotesque. C’est sur le terrain des idées qu’il mène sa lutte contre l’hégémonie néolibérale.
Vous relevez [1] une « surabondance mémorielle » dans les sociétés occidentales depuis la chute de l’URSS. Est-ce cette saturation de références au passé qui empêche de s’engager au présent ?
Enzo Traverso : Notre incapacité à nous projeter dans l’avenir est due au poids cumulatif de toute une série de défaites. La fin de la guerre froide a signifié bien plus que la chute du communisme comme régime politique. Il ne suscitait[...]
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[1] Le Passé mode d’emploi, Paris, La Fabrique, 2005 ; L’Histoire comme champ de bataille, Paris, La Découverte, 2011.