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Une révolution sans aide publique, ou l’abandon de la culture en milieu rural (1)

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par Olivier Schneider
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Ces trois dernières années, j’ai vécu, bourlingué et travaillé en dehors des grands centres urbains. Ces zones ne sont pas des déserts, elles sont peuplées. Lacérées par les axes routiers qui leur montrent où il faut aller, et aller vite. On y sème ça et là des lotissements, on y renomme les villages pour créer des méga-villages, gérés par des communautés de communes qui peuvent comprendre aussi de petites villes. Bref, ça bouge, ça se peuple, et ça ne ressemble plus à rien. J’ai suivi, je pense, une tendance qui n’est pas si rare, une migration discrète, souvent familiale (mais pas que), une fuite invisible, car qui part des grands centres urbains y garde souvent un lien, précieux, nécessaire, ce qui fausse bien sûr les statistiques. Ce n’est pas tout à fait un retour à la terre, quoi que cela peut y ressembler, c’est surtout un départ de la grande ville. On y recherche un air respirable, un paysage, de bons légumes, et des amis simples.

Ces zones, du moins celles que j’ai traversées, le Pays Catalan, l’Aude, le Tarn, la Charente, la Bretagne des petites villes, et aussi l’intérieur de l’île de la Réunion, ont comme point commun de subir un abandon culturel sans concession, et délibéré. À Cilaos par exemple, dans les hauts de l’île de la Réunion, j’ai rencontré les animateurs de toute la jeunesse de cet endroit, ils étaient tous bénévoles. Quant j’ai tenté de monter avec des fonds européens un projet de transmission intergénérationnelle de savoirs qui aurait permis aux acteurs locaux d’obtenir une petite rémunération, quelqu’un de Saint-Denis m’a sèchement répondu : « on ne donne pas de l’argent pour que les créoles s’amusent entre créoles ! ».


Cette anecdote m’a mis la puce à l’oreille, et j’ai retrouvé la même logique en Charente, ou dans le Finistère. Il n’y a plus d’argent pour la création en régions, mais surtout, on n’en donne plus pour que le langage provienne d’autres sources que celles des grands pôles.

La culture dans la périphérie des grands centres urbains subit elle aussi un assaut répété pour faire taire ce qui perturberait peut-être les centres, et la culture en général n’est plus jugée comme nécessaire pour l’humain réduit à sa version néolibérale, y compris dans les centres mêmes. Mais je tiens à témoigner par la chronique que je propose, de l’abandon du symbolique dans les autres zones, ainsi que de tout ce qui s’y passe malgré tout. Car je peux observer, à mon échelle, qu’une sorte de révolution y est en route. En délaissant les campagnes, l’aide publique à la culture se prive d’accompagner le bien commun d’une révolution en cours.

Il me faudra plusieurs articles pour décrire la transformation humaine, sociale et agricole qui se passe là où elle est possible. Ce qui me préoccupe le plus, mais qui peut aussi avoir des effets bénéfiques, c’est qu’elle s’accompagne presque exclusivement d’une culture privée, qui peut être carnassière, libérale, ou indépendante et collective. Par l’abandon du public, les nouveaux modes de vie adoptent des codes bien à eux, avec un esprit souvent plutôt marchand et un certain abus du bénévolat. Mais ils échappent aussi aux codes institutionnels, et peuvent inventer des langages en toute autonomie. Ce qui subsiste encore de la société du bien commun, s’affronte à ce foisonnement symbolique indépendant et en révolution. Et il se produit une scission entre des communautés dont les membres n’ont de différences ni sociales, ni ethniques et qui ont en commun, sans s’en plaindre d’ailleurs, d’être abandonnées culturellement par la communauté nationale.

En un temps où ce qui doit être investi pour nourrir le sens est systématiquement raboté et amoindri, il y a précisément un besoin général de sens en pleine crise sociale et climatique. Dans les zones que j’ai traversées, et là où je réside actuellement (à Douarnenez), chacune et chacun doit se débrouiller, bénévolement, ou avec ses propres moyens pour répondre à ce besoin. C’est l’enjeu de cette chronique qui débute aujourd’hui de rendre compte des effets de cet abandon, comme de toutes les initiatives qui permettent de porter une voix différente depuis le fin fond des campagnes.

Les campagnes n’ont pas rien à dire, et elles ont tout à faire, car il s’y déroule une révolution du quotidien.

Olivier Schneider



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