Page blanche, c’est le fruit du travail de deux promotions d’étudiant.es en Master Culture et Communication de l’Université Saint-Quentin en Yvelines (UVSQ). Un cours sur la presse culturelle leur a été l’occasion de concevoir une publication centrée sur leurs intérêts et leurs initiatives. Extraits choisis.
Têtatêt : Quand et comment est né votre amour pour la danse ?
Maguy Marin : Très vite comme beaucoup de petites filles ! Je ne fréquentais pas beaucoup les salles de spectacle, mais j’avais des amies qui pratiquaient la danse. Mes parents m’ont alors inscrite au Conservatoire de Toulouse pour apprendre la danse classique. J’avais huit ans. L’enseignement était rigoureux, presque militaire, mais j’ai persévéré : la danse s’est imposée à moi et ne m’a plus quittée.
Je me suis formée pendant 8 ans au Conservatoire de Toulouse où j’ai reçu un premier prix. J’ai ensuite pu perfectionner ma technique classique à Paris pendant un an auprès de Nina Vyroubova [1]. À l’époque, j’ignorais que la danse contemporaine existait puisqu’elle n’était pas reconnue. Je travaillais au sein d’une compagnie de danse à Strasbourg à 18 ans, et j’ai rencontré des comédiens du TNS d’une grande ouverture d’esprit. Ils désiraient bouleverser les codes établis dans le contexte de Mai 68. C’est à leur contact que je me suis rendue compte de mon ignorance.
J’ai alors tenté d’intégrer la nouvelle école de Maurice Béjart à Bruxelles et j’ai été prise ! C’est au sein de cette école pluridisciplinaire que, pendant trois années, je me suis nourrie d’inspirations multiples. Des nationalités et des disciplines artistiques très différentes se rencontraient. Moi qui n’étais jamais sortie de la France, je côtoyais des Coréens, des Brésiliens, des Américains, des Espagnols, des Suédois... Entendre toutes ces langues, découvrir les techniques de ces différents pays, comme le flamenco, la danse africaine ou indienne ont transformé ma vision de l’appareil chorégraphique dans le sens où Maurice Béjart le concevait. Ce mélange de cultures m’a nourrie et bouleversée. J’ai ensuite intégré la compagnie de Béjart en tant qu’interprète, et nous avons voyagé à l’étranger. Cette école était une invitation à l’ouverture intellectuelle et artistique et j’en remercie encore Maurice Béjart.
Comment a été perçue votre entrée comme chorégraphe avec votre propre compagnie ?
Pas trop mal au début. J’ai bénéficié de l’attention portée aux élèves de Béjart. Dans les années 75, sa compagnie était internationalement reconnue. Son école était mue par un véritable esprit de recherche, qui poussait à développer l’inventivité. J’ai commencé avec plusieurs danseurs : je travaille toujours avec des gens, même si les histoires de collectif sont compliquées. Au début, la compagnie s’appelait « Le Balais théâtre de l’arche », et finalement on lui a donné mon nom. Puis, comme toute forme d’art en opposition, il y a eu de fortes divergences sur la danse-théâtre parce que c’est une discipline abstraite qui raconte une histoire.
Que faites-vous en tout premier lieu lorsque vous créez une nouvelle chorégraphie ?
Je prends plusieurs paramètres en compte. J’ai une troupe permanente avec qui je travaille depuis de nombreuses années. Le spectacle Bit lui était destiné. La Compagnie Maguy Marin est composée de danseurs d’âge mûr, de 48 à 62 ans alors que les institutions officielles poussent les danseurs à arrêter au-delà de 40 ans. De mon point de vue, avec la maturité le corps est au mieux de sa forme. Certes, les danseurs ne font plus de grands écarts, mais on explore autrement la danse.
Il m’arrive aussi de collaborer avec d’autres personnes en fonction des commandes. L’orientation d’une pièce varie selon les artistes avec qui nous travaillons. Pour Deux Mille Dix Sept, nous avons cherché des jeunes danseurs capables de nous déstabiliser. La première motivation est toujours avec qui faire et pour quoi faire. L’histoire et de la littérature sont les principaux initiateurs de nos chorégraphies, comme nos réflexions et nos ressentis. Les rencontres peuvent nourrir la création comme ce fut le cas avec Charlie Aubry, en charge de la musique de Bit. Dans cette pièce, le rythme a été précurseur.
Quel a été le processus de création scénographique de Bit ?
La scénographie ne vient jamais avant l’expression du corps et le travail avec les interprètes. C’est une fois sur le plateau que l’on commence à penser au décor, puis à ajouter des éléments, comme par exemple une chaise.
Dans le cas de Bit, au début, la farandole dansait à plat. J’ai mis du temps à élaborer la mise en scène. J’ai réinvesti un mur de la pièce May B afin de réaliser des planches. Mais ce n’est qu’en fabriquant une maquette que j’ai pensé à les incliner parce que je ne voulais pas rester sur un seul niveau. À force d’entraînement, les corps des danseurs se sont familiarisés à ce décor mouvant ; ; par exemple, les danseuses ont d’abord appris la chorégraphie sans et avec chaussures à talons. Elles se sont ensuite entraînées à danser simplement sur les pentes, avant de réussir à exécuter les mouvements en talons sur les planches inclinées.
Votre danse a souvent été qualifiée de “non-danse”. Selon vous, existe-t-il encore des frontières entre les disciplines artistiques ?
Il faut vraiment évacuer cette expression médiatique de « non-danse », ça ne veut rien dire ! Dès lors qu’un corps vibre, il danse, même si les mouvements ne sont pas spectaculaires : sans attention, observation, on ne voit rien. Pourtant quand le corps vit, il a une vibration, une respiration capable de s’amplifier et de danser, les limites sont dans la tête. Beaucoup de plasticiens se sont tournés vers la danse contemporaine, sans avoir appris à danser, pourtant ils ont changé des choses. Il faut rester libre sur la formation, rien ne détermine définitivement quelque chose. La technique est toujours au service du travail du corps et de l’esprit.
Dans Bit, la farandole bascule brutalement vers les violences de la société comme les agressions sexuelles. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Bit est une danse sociale. En 2014, année de la création, il n’y avait pas les hashtags #MeToo, mais le rapport entre hommes et femmes m’animait déjà, comme beaucoup d’autres avant moi. Dans cette sociabilité, il existe des choses souterraines terribles, pourquoi les cacher ? Le monde n’est pas lisse et joyeux. Cependant, choquer pour choquer ne sert à rien. Je préfère dévoiler. Le rôle de l’artiste est de rappeler cette coexistence de joie et de drame dans la vie. Le plateau reste un espace public et social où tout peut se dire. Pour moi, le théâtre est un lieu de dévoilement.
En 2016, Benjamin Millepied vous a invité à reproduire le spectacle Les applaudissements ne se mangent pas à l’Opéra de Paris. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
J’ai trouvé très courageuse l’idée de nous inviter avec cette œuvre difficile. Benjamin Millepied avait vu le spectacle à New York en 2003, et j’ai surtout accepté parce qu’il voulait cette pièce-là. Ce fut un moment très riche et paisible. Les danseurs de l’Opéra ont été particulièrement à l’écoute et disponibles.
Depuis peu, May B fait partie des œuvres obligatoires à étudier en option Art-Danse au baccalauréat. Pourquoi ce désir de sensibiliser les jeunes à la danse ?
C’est la raison pour laquelle je suis venue aujourd’hui vous rencontrer. Avec la compagnie, nous donnons des cours auprès des enfants, des lycéens ou des jeunes danseurs. C’est un désir de transmission et de rencontres. J’aimerais que mes créations s’adressent à tous, y compris ceux qui ne viennent pas au théâtre. Les théâtres doivent s’ouvrir aux gens qui n’ont pas l’habitude d’y aller.
Entretien réalisé par Lucie Rolland et Marine Druelle.
[1] ndlr : danseuse étoile de l’Opéra de Paris.
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