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« The End », l’erreur d’être en avance à un rendez-vous que l’on ne peut pas rater...

Une pièce profondément rebelle
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par Valérie de Saint-Do
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The End, texte de Leila Toubel mis en scène par Ezzedine Gannoun, du théâtre El Hamra de Tunis, a inauguré le passionnant programme de la plateforme Al Wassl , aperçu du théâtre et de sa parole politique en Méditerranée, au Théâtre Jean-Vilar de Vitry sur-Seine.

Si un jour vous croisez la mort et que celle-ci vous donne rendez-vous dans une heure, ne verriez-vous pas tout d’un coup l’importance d’une multitude de choses à régler, de votre tenue jusqu’à l’annulation de toutes ces autres rencontres que vous ne pourrez plus que manquer ?

Voilà la situation dans laquelle se retrouve Nejma. Sans autres états d’âmes que ceux qui ont pavè sa vie jusqu’alors, cette femme mûre, pas encore vieille, mondaine, et pourtant si seule, fille, mais surtout pas mère, décide de mettre en scène elle-même sa sortie de scène. Avec une lucidité placide, elle accepte de clore toutes les conversations qui la relient encore à ceux qui l’entourent, qu’ils soient vivants ou morts. Sobriété du décor, finesse des lumières, grâce des mouvements, The End propose au spectateur un théâtre arabe résolument moderne, temporel et fantas(ti)que à la fois. À chaque personnage son animal totem que la gestuelle révèle, dans une mise en scène associant l’élégance des corps à l’absurde de l’être.

Le texte de Leila Toubel, ciselé, pointu, tranchant, porte l’estocade sur les points vitaux d’un monde standardisé, là où ça fait mal de se dire que la véritable vie nous a déjà été arrachée : médias de masse au misérabilisme aliénant (le voici votre populisme réel !), rêve de gloire avant la moindre victoire (que le hip-hop repose en paix...), religiosité sans fond, comme le trou d’une tombe où s’empilent à l’infini les corps de nos aïeux (c’est bien ça la tradition, n’est-ce pas ?), aveuglement des enfants hérité de parents qui nous voulaient pas voir, démocratie fantoche qui remplace le choix par le désir, la politique par le spectacle...

Dans ce conte aux faux airs de théâtre de marionnettes, le destin ne peut être là où on l’attend. C’est à cela qu’on le reconnaît. Il est une tendance aujourd’hui à mettre en concurrence tous les artistes arabes pour en élire le plus prophétique. La démarche est biaisée. Si l’art parle de nous « ici et maintenant », il n’a que prouvé sa valeur lorsque le lendemain il a encore raison.

On ne peut que féliciter l’équipe du théâtre El Hamra pour son travail militant, exigeant et sincère depuis plus de vingt ans. Mais avant tout, on s’incline devant une pièce surprenante, humble et exigeante, profondément rebelle. A croire que les Printemps naissent au théâtre...

Et maintenant, que faire ?

Le Printemps, il en fut question, justement dans le débat qui suivit ce spectacle et qui voyait des artistes et intellectuels s’interroger sur la place de l’art et de la culture dans les révolutions arabes. Et c’est une belle leçon de réflexion et d’humilité à nos éditocrates qu’ont donné Ezzedine Gannoun, Leila Toubel et les autres participants face à l’hystérie, l’inculture et l’arrogance qui ont caractérisé les commentaires politiques et médiatiques français avec la victoire – relative – du parti Ennadah.

Au cours de la révolution, Leila Toubel et Ezzedine Gannoun se sont refusé à la pose de l’artiste compagnon de route : « c’est en tant que citoyenne que je manifestais, pas en tant que comédienne », commente Leila. « et nous n’avons pas besoin de Juppé et de ceux qui ont soutenu la dictature pour nous dire que les barbus sont dangereux, nous le savons, merci ! » Et de démonter la mythologie qui veut, notamment, que la Tunisie de Ben Ali ait protégé le statut de la femme...

Le défi désormais pour les artistes se situe moins dans le rapport au gouvernement provisoire et au parti majoritaire – trop malin pour attaquer les libertés de front, constatent-ils en substance– que précisément dans leur place de citoyen et leur rapport au peuple. Depuis que la chape de plomb a sauté, l’incompréhension, voir l’attaque, peut venir de mon voisin », constate Ezzedine Gannoun. Ces voisins qu’ils côtoient au quotidien dans le quartier populaire de Tunis où se niche El Hamra, où ils ont parfois donné asile à des marchands ambulants. Ils ont du faire à l’incompréhension de ceux qui les voyaient reprendre leur métier après le 14 janvier : « ce n’est pas le moment ! » comme si le fardeau des assemblées citoyennes et de la préparation de « l’après » devait reposer sur les seules épaules des artistes. « Interdirait-on à un boulanger de faire son travail » ? ironise Ezzedine, dont les paroles entrent en résonance troublantes avec celles si belles du Théâtre ambulant Chopalovitch(1)...

À cette injonction, leur réponse fut un sit-in de plusieurs jours au Théâtre el Hamra.

Désormais, à la question « Que faire ? », leur réponse est simple : ce qu’ils ont toujours fait, en tant qu’artistes et citoyens. Ils ne cèderont ni au surf facile sur la vague de l’opportunisme antigouvernemental, ni ne lâcheront un pouce d’une liberté qu’ils n’ont jamais abdiquée, et dont The End est un exemple magnifique. Et continueront à tendre à la société tunisienne, avec finesse et courage, un miroir où l’intime et le politique se reflètent, étroitement imbriqués.

 

Hédi Maaroufi et Valérie de Saint-Do

 

Le festival Al Wassl, Plateforme Arts en Méditerrannée se poursuit au Théâtre Jean-Vilar de Vitry.

http://www.theatrejeanvilar.com/la-saison/detail/theme/theatre/fiche/al-wassl/

 

1. Le Théâtre ambulant Chopalovitch, superbe pièce de Lioubomir Simovitch e Théâtre ambulant Chopalovitch est l’histoire d’une troupe de théâtre qui, dans une ville sous l’occupation de l’Allemagne Nazie en 1941, débarque pour jouer Les Brigands de Schiller. Mais les habitants d’Oujitsé (en Serbie) sont dépassés par une réalité qui les maintient dans un état de terreur.

 

 

RETROUVEZ DES EXTRAITS CHOISIS DE LA SOIREE EN VIDEO :
(Réalisation Samuel Wahl)



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