Réfutations à une politique d’exclusion et de rejet

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Réfutations à une politique d’exclusion et de rejet

Katia Bouchoueva sauvée : combien d’autres restent sur le carreau ?
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par Nicolas Romeas
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Le cas de la talentueuse Katia Bouchoueva semble être provisoirement réglé (voir ici les dernières nouvelles), mais pour une actrice culturelle pugnace et efficacement soutenue par des amis qui connaissent ses grandes qualités, combien d’autres, moins bien armés, restent sur le carreau et vivent en silence le drame de l’expulsion !

Réfutation 1

Vivre en France avec des personnes de nationalités et de cultures différentes ne me fait pas peur et je ne supporte pas que les hommes et les femmes politiques s’adressent à moi, née en France, comme s’il était évident que j’aie des tendances à la xénophobie et que je considère les étrangers comme coupables de tous les maux de notre société...
Parce qu’il n’est pas vrai que les étrangers sont un poids pour l’économie nationale : selon une étude réalisée par une équipe d’économistes de Lille sous la direction de Xavier Chojnicki les migrants apportent plus de 12 milliards d’euros par an à l’État français (impôts taxes, visas, TVA...)
Parce qu’il n’est pas vrai que les étrangers sont vecteur de criminalité : leur surreprésentation statistique dans les prisons françaises (ils représentaient 17,6% des détenus en 2010) s’explique par le fait que, pour les mêmes crimes et délits les étrangers sont plus souvent condamnés à de la prison ferme que les Français. De plus, ils sont plus souvent interpellés.
Parce qu’il ne s’agit en aucun cas d’une invasion et s’il est vrai que les migrations vers les pays occidentaux ont augmenté, les migrations du Sud vers le Nord représentent moins des 40% des migrations internationales. De plus, seulement 1% des Africains vivent en Europe !
Parce qu’il n’est pas vrai que la France est un des pays où les immigrés sont les plus nombreux. Nous sommes très loin d’accueillir "toute la misère du monde" ! Si, en 2008, les immigrés représentaient 8,4% de la population française, aux États-Unis ils représentaient 13,7% de la population et en Espagne 14,1%. De plus, alors que la France compte 5,2 millions d’immigrés, ce sont près de 3 millions de Français qui vivent à l’étranger.
Parce que l’accueil des migrants est une question politique et non économique, pour preuve : 184 000 personnes en provenance de Lybie ont été accueillies en Tunisie en 2011, dont 40 000 enfants qui ont été scolarisés dans les écoles tunisiennes en 2011. Dans le même temps, ils n’ont été que 24 100 à arriver sur l’île italienne de Lampedusa pour tenter leur chance en Europe... mais plutôt que de les accueillir dignement, les autorités françaises et italiennes leur ont refusé l’hospitalité.

J’ai honte de la politique actuelle en matière de chasse aux étrangers, véritable déni démocratique !
Parce qu’il est intolérable que, pour le seul fait d’être arrivé en France sans papiers en règle, n’importe quel enfant étranger de moins de 13 ans peut être privé de liberté en zone d’attente. De plus, si théoriquement aucun mineur ne peut se voir notifier une mesure d’éloignement ni être enfermé en rétention, dans les faits des enfants étrangers parfois âgés de quelques mois sont enfermés régulièrement en rétention au prétexte qu’ils « accompagnent » leurs parents.
En 2010, 356 enfants ont été enfermés en centre de rétention en France métropolitaine et on estime que 6 000 environ sont passés par le centre de rétention de Mayotte.
Parce que le fait qu’un étranger en situation irrégulière puisse être retenu 5 jours sans être présenté devant un juge, et qu’il arrive trop souvent que l’administration l’expulse avant même qu’il ait pu voir un juge, est un déni de justice entérinant de fait l’exercice de lois d’exception visant les étrangers sans papiers qui, rappelons le, ne sont ni des assassins, ni des terroristes !
Parce qu’il est tout simplement indigne que, dans certaines préfectures, les étrangers doivent arriver la veille au soir et passer la nuit dehors pour pouvoir déposer une demande de titre de séjour le lendemain.... Aucun être humain ne devrait être humilié de la sorte dans une République !
Parce qu’il m’est insupportable de savoir que l’on arrête des innocents dans la rue, à la sortie des écoles, devant les préfectures ou dans le hall des hôpitaux
Parce que personne, en démocratie, ne devrait vivre comme une bête traquée, la peur au ventre, à chaque instant, de croiser un uniforme qui aura le pouvoir de l’arracher à la vie qu’il s’est construite ici.

J’ai honte de payer leur sale guerre contre les étrangers. Je ne veux pas que cette politique soit appliquée en mon nom !
Parce que je préfèrerais que mes impôts servent à l’éducation, la santé, la justice pour tous les résidents et contribuables de France qu’à alimenter le budget européen pour le contrôle des frontière qui, ces cinq dernières années, a augmenté de 154% passant de de 34 millions d’euros en 2007 à 86,4 en 2011. Frontex, l’agence privée qui assure cette "mission" est dotée d’hélicoptères et d’équipements de guerre vendus par les grands armuriers européens !
Parce que je préfèrerais que les 90 millions d’euros alloués par le gouvernement français en 2010 pour la lutte contre l’immigration irrégulière soient affectés à d’autres postes budgétaires.

Alors, parce qu’en cours d’économie, on m’a appris que la richesse naît de l’échange et que, depuis que j’ai quitté les bancs de l’école, la vie m’a prouvé qu’en bien d’autre domaine c’est encore plus vrai... Il faut se nourrir des mots, des saveurs, des traditions, des idées de ceux qui viennent d’ailleurs et nous offrent leur culture en partage...
Et puis il faut aller voter ! Impérativement ! Car nous sommes le peuple et nous ne sommes pas racistes.

Eugénie Barbezat

Réfutation 2

Il n’y a pas de portes dans la Zon-Mai (1) de Sidi Larbi Cherkaoui et Gilles Delmas à la cité nationale de l’histoire de l’immigration. "Sur les murs qui entourent la salle, sont représentées les valeurs du travail, de la justice ou de la liberté." (2) C’est étrange : une maison littéralement retournée à l’envers, baignée dans la lumière par les projections à l’extérieur comme à l’intérieur. Les captations vidéos juxtaposées de cette installation exposent l’habitat de 21 danseurs, leur vécus identitaires et migratoires ; ils sont chez eux, ils dansent, ils bougent, ils parlent. Nous, les visiteurs, ici à l’extérieur on peut se sentir enfermé.
Les frontières sont d’abord érigées dans nos esprits.
Les artistes sont les premiers citoyens du monde. Reconnus pour ce qu’ils apportent d’immatériel, d’universel, ils voyagent et partagent les valeurs humaines via l’esthétique de leur médium. Qu’ils contestent ou adhérent au système politique de leur pays, ils en sont produits. La syntaxe de leurs œuvres est imprégnée par ce langage, fût-il non verbal.
Ces dernières années la France se referme aux artistes étrangers, c’est un fait. C’est paradoxal, dans le mouvement frénétique de globalisation. Ceux qui font la politique culturelle perdent-ils la vision "globale" qu’ils prônent pourtant ?. Comment et au nom de quelle valeur humaine admettre l’assassinat social d’un individu qui a construit pendant des années sur le territoire français, un artiste ancré et formaté à la société française ? C’est le cas de Katia Bouchoueva, poète, slameuse menacée d’expulsion après 9 ans d’efforts d’intégration dans la région de Grenoble. Le français c’est son choix, sa passion, elle commence à l’apprendre à l’âge de six ans. La France c’est son rêve, son chemin, à vingt ans elle y arrive pour étudier la linguistique, elle publie son recueil de poèmes aux éditions l’Harmattan intitulé "C’est qui le Capitaine ?". Aujourd’hui elle est menacée d’expulsion suite à la demande de changement de statut pour continuer à travailler en tant qu’animatrice culturelle en CDI préalablement soumis à la sélection compétitive par le pôle-emploi. La maison de la poésie de Rhône-Alpes la soutient malgré les difficultés rencontrées. Car sa place est bien ici, elle a relevé le relais de l’immense héritage poétique franco-russe, elle a choisit de vivre ses deux pays de manière qui correspond à ces envies et ses urgences de femme, d’amie, de poète. Peut-être en changeant de place ne pourra-t-elle le réaliser ce lien vital... La France a accueilli les ballets russes, faites la balance de ce qu’elle a perdu et gagné dans l’histoire de la danse. En temps de paix, la France a laissé le choix de rester ou de partir aux femmes de lettres russes Tsvetaïeva, Berberova, Akhmatova, Teffi ; en temps de guerre chacune d’entre elles a fait le sien. Aujourd’hui, en temps de crise, la France n’offre à Katia d’autre choix que se battre, quel gaspillage de l’humain que cet état d’angoisse projeté sur elle et qui influence désormais son expression artistique.
Les étudiants visés par "la circulaire du 31 mai" ne sont pas tous artistes. Ils sont en train de partir, vont-ils se révolter contre les valeurs que la France a eu le temps et l’intelligence de leur transmettre ? C’est la confusion générale : il ne s’agit pas d’un stage de perfectionnement pour un individu déjà construit et enraciné dans son pays d’origine qui va repartir au bout de deux ans enrichi et libéré d’un certain nombre de stéréotypes, il s’agit ici de l’éducation, d’acquisition de valeurs, d’écoles de pensées pour les jeunes gens au moment le plus constructif de leur vie où ils se trouvent contraints de briser les liens fondamentaux patiemment et passionnellement créés. L’amertume, l’incompréhension risque de modeler leur avenir. Pas égaux et pas libres, de quoi la France les arme pour continuer à croire à cette fraternité entre les peuples ?
Katia, est menacée parce qu’il n’y a pas suffisamment de travail pour les français dans le secteur artistique, telle est la raison donnée par l’administration. La peur de perdre son statut social d’artiste est omniprésente et pesante. Mais la bonne matière créative n’as pas besoin de moyens pour exister, elle a besoin des moyens pour se faire entendre et elle a besoin de stimulus. Paris, ville-musée, capitale de l’industrie de la mode, c’est le tour à l’industrie de l’art. L’expression est d’usage depuis un certain temps, la rentabilité est un critère bien maîtrisé au niveau institutionnel, la "glocalisation" est en route. La cuisine internationale surgelée sera bientôt le modèle de l’art ! Pourtant la diversité de la proposition artistique, constitue la vraie valeur ajoutée de la France et elle s’amenuise au fur et à mesure qu’on se dirige vers l’uniformité et le mimétisme. L’art ne va pas disparaître, mais son visage risque devenir atone. De quoi sera-t-il fait l’avenir s’il n’y a pas de matière à assimiler ?

Ludmilla Ivanovna

1 - "maison" en verlan
2 - Extrait du panneau explicatif de la salle d’exposition

http://www.katiaboutchou.fr



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