Parallèles, 1ère biennale internationale d’art géométrique de Palaiseau
Au premier-plan : Michel Jouêt, Structures (1971), arrière-plan : Horacio Garcia Rossi, Couleurs Lumières, 1993
Photos : Gautier Marcy
Où l’on cause de soi, mais pour de bonnes raisons qui n’apparaîtront que plus tard
Moi, je suis stagiaire. Alors, quand on me dit d’aller voir une biennale internationale d’art contemporain à Palaiseau, comme j’ai très envie d’être embauchée, je ne souris pas. J’y vais. La dernière fois que j’ai mis les pieds à Palaiseau, j’étais en CM2, ma copine Cécile avait déménagé. J’avais le souvenir de pavillons XIXème de bon aloi, et de jardins ombreux. Ça a été une surprise, en sortant du RER, de retrouver les gens de chez moi. Parce que je n’habite pas Palaiseau, mais la banlieue rouge, au nord. (Cette introduction, l’air de rien, conduira quelque part). Donc, cela m’a surprise, sortant du RER, de voir les mômes en bandes, parlant fort et chaloupant des épaules sortir d’un Kebab turc. En allant vers la MJC, c’est devenu idyllique de juxtaposition pacifique : la rue principale, « de Paris », aligne ces maisons basses et des vitrines de coiffeur avec jeux de mots prévisibles, devant la mairie klaxonnent des bagnoles impossibles et décapotées, du raï à fond la caisse... Il faisait beau, ça sentait le samedi après-midi. Je commençais à trouver que ça vaudrait le coup d’envoyer des journalistes à Palaiseau, constater un peu la mixité réussie au sud du périph.
Le dispositif ; impressions d’oeuvres La MJC a fait peau neuve, transformé sa bibliothèque essoufflée en coin lecture, et récupéré l’espace pour y monter l’exposition. Cela s’appelle Parallèles, et c’est très intelligemment fait. En partenariat avec la galerie Lelia Mordoch, et la collectionneuse Catherine Topall, l’équipe a monté une expo d’art géométrique. C’est Laura Nillni, plasticienne, animatrice de l’atelier d’Arts pla à la MJC, qui a fait le lien entre sa galerie, les artistes, et la MJC. Et ça fonctionne. Une trentaine d’œuvres, sculptures, peintures, d’autant d’artistes. Aux murs, deux grands panneaux d’explications, qui ne parlent absolument ni des artistes, ni des œuvres exposées. Ça, j’adhère : on y présente MADI et GRAV, deux mouvement par rapport auquel les artistes présentés se situent, qu’ils s’en revendiquent, ou s’en inspirent. Plutôt que de donner des clés de lecture, proposer au spectateur quelques éléments d’histoire de l’art, cela me semble teinter d’élégance le didactisme. Et ça colle au propos : l’art géométrique, éloigné de toute représentation, veut laisser chacun à même distance de l’œuvre. Le choix des mouvements n’a pas été fait au hasard.
Une très belle étude de Thierry Thomen, Diffraction, luminosité immédiate, saisissante, qui à la fois convie et se tient sur elle-même, dans un flux et reflux qui vous garde l’œil en éveil et oblige à s’assurer de son équilibre, sur ses pieds. Le gamma de Judith Nem’s, qui se donne à voir de côté. Il faut bouger, ici, pour voir ; c’est aux sources de GRAV, qui joue avec l’optique. Le titre de Julio Le Parc l’annonce : Ondes par déplacements du spectateur. Et le plexi s’anime en effet, formule ses cercles, déroule ses ondulations à mesure des déplacements. La Mona Lisa d’Yvaral programme que le spectateur joue à l’être, il faut cligner des yeux pour voir surgir le visage emblématique : dès lors que l’on se tient comme au musée, advient le musée. Sinon, c’est un autre tableau qu’on peut voir, minces bandes sinuant leurs dégradés de couleurs sur fond gris, qui ne peut pas ne pas parler de Mona Lisa, c’est à dire d’art. Marrant comme cela crée du dialogue, il m’a semblé causer avec un être plein d’une malice sans méchanceté. Le Zinzolin, de Jocelyne Santos, qui a utilisé le mot exactement comme il faut, pour ce qu’il sonne. La sculpture assemble des parallélépipèdes de bois peint. Selon où l’on se place, les couleurs des surfaces résonnent entre elles, et chantent. Robin Hobb décrit bien le bois-sorcier, et ses moirures : vu du dessus, le dessin reste silencieux, la sculpture rappelle vaguement l’escalator stylisé du logo de Beaubourg. Pour qu’elle se découvre, et voir effectivement apparaître le zinzolin (je répète le mot à dessein), il faut tourner autour. Cela fait dans la salle blanche un joli ballet de spectateurs curieux. Parce qu’il y vient du monde, à l’exposition. Ce qui veut dire que le travail a été bien fait.
Cela s’appelle Parallèles, parce que les ateliers ont travaillé aussi sur l’art géométrique. Et que les artistes amateurs, mômes et adultes, sont exposés dans deux salles adjacentes. Alors, évidemment, ça a une raison d’être. Au sous-sol, une chose incroyable. La pièce devait être assez moche, un machin sans destination, entre le gymnase et le théâtre. Sous la direction de Loredana Rancatore, les participants à l’atelier ont travaillé sur Sol Lewitt. Les murs sont tendus de constructions géométriques au gaffeur noir. C’est spectaculaire, réjouissant, ça habille l’espace, qui devient une chose différente, ça distille de l’idée et cela donne envie.
Démocratisation culturelle et éduc pop
Je dis à la responsable des expositions, Solenne Fauvel, le grand plaisir d’avoir vu tant de gens entrer, pas intimidés, s’appropriant. C’est qu’ils ont l’habitude de venir, m’explique-t-elle. Ils passent la tête parce qu’ils savent qu’on a transformé la bibliothèque, et entrent sans savoir ce qui est exposé. La MJC est dans un joli parc, fréquenté, derrière la mairie. Nous discutons dans une courette, réaménagée par le collectif Opération Maxi Puissance. J’aime beaucoup ce qu’ils ont fait de la cour : il y a une apparence de télé, un miroir en guise d’écran, des bancs de bois peint fabriqués en palettes, les tessons d’un pot de fleur, comme un antique, sur une table de jardin. On cause éducation populaire. Palaiseau compte 33000 habitants. C’est une commune prospère, à l’ouest. A l’est, en revanche, on trouve les maisons de quartiers. Solenne me dit son souci de réussir à conduire des actions ensemble, mais que seul le public du « centre ville » (ouest, donc) est venu. Ah.
Je songe un peu à cela, en repartant, à Thomas Hirschhorn, qui transforme les habitants d’Aubervilliers en gardiens de musée, à Nicolas Frize et ses concerts dionysiens. Je me dis que c’est dommage, parce que tout le monde a l’air d’être plutôt ouvert, et d’y mettre de la bonne volonté.
C’est vachement agréable, Palaiseau, le samedi quand il fait beau. Au café, les gens vous parlent : toujours quelqu’un a quelque chose à dire quand on écrit (sauf à Paris, où tout le monde écrit, ce qui n’intéresse plus personne). J’en arrive à l’idée que finalement, c’est pas si mal, cette aventure-là. Les bourgeois des villes ont rencontré les bourgeois des champs. C’est ce qu’on appelle démocratisation culturelle. Et c’est en effet tout à fait rare, parce que ce sont des mondes très étanches, et que c’est une belle chose d’art (et de sueur, et d’enthousiasme, et de conviction d’une chouette équipe de la MJC) que de les avoir liés.
Où l’on reparle avec obstination d’art et de révolution
Les palaisiens de l’est n’ont rien eu, n’ont rien vu, n’ont rien su. Comme d’hab. Ils savent bien, les gens qui se marient à deux cents mètres, que ça n’est pas pour eux. Je suis très fière, moi, d’habiter Saint Denis : il y a deux ans, on y a installé des « Vel’com », des vélos en « libre-service ». Après trois mois, il ne restait plus aux bornes que les engins sans pédales, aux roues sévèrement voilées. Les autres... On ne sait pas. On m’a raconté qu’il roule des Vel’coms à Cracovie. C’est que nous sommes une ville de mauvais pauvres. Au lieu de remercier et de prendre soin des vélos de la municipalité, on les vole pour les revendre aux Polonais. Faut pas agiter les possessions sous le nez des dépossédés.
C’est plutôt calme, en attendant, de Stalingrad à la Goutte d’Or, et de Stains à Pantin. On bricole dans les interstices. Tout le monde aime à vivre en paix. Et la conscience, et la justice sociale, ce sera pour plus tard.
Je crois quand même qu’un jour, les pauvres en auront marre. Vraiment. Et que dans un grand happening, ils s’approprieront en vrac les tapis d’où on gouverne, les tours où l’on fabrique du discours, et la beauté qui les dénigre. Ça sentira sans doute un peu fort, le pneu brûlé et la colère.
La beauté sera convulsive. En vérité.
Coline MERLO