Dans le pays du Béarn, à quelques kilomètres de Pau, Le chemin de l’utopie se trace comme un sillon de couleurs sur le visage du territoire. Une cinquantaine de silhouettes humaines et animales sont agrippées à des câbles tendus entre plusieurs pylônes. Ce chemin de fer aérien, pétillant de couleurs vives, tourne le dos aux voies d’autoroute, dominant un vaste parking. Dans une logique d’invention collective, Nathanaël Petitjean, Monsieur Térez et Fanny Piérot ont fait appel aux habitants du Village Emmaüs et au-delà, à tous ceux qui se montraient désireux de participer au chantier, ou de le soutenir.
Multiples formes et couleurs ont été imaginées pour forger ces silhouettes sans visages, sculptées dans de la tôle pour rappeler les figures du théâtre d’ombre. Référence à « la mixité sociale, intergénérationnelle et culturelle, au savoir vivre ensemble » selon les initiateurs du projet, ce Chemin de l’utopie s’engage comme le reflet de la pensée qui soude les habitants du Village Emmaüs. Une pensée de l’accueil et du mouvement, qui s’incarne dans les milliers de visiteurs venant découvrir le lieu, et dans les compagnons qui finissent par y prendre racine. Une pensée écologique, qui témoigne de leur respect de l’environnement et de la mise en valeur du patrimoine culturel régional. Mais aussi une pensée solidaire et politique, portée par un esprit alternatif, en rupture avec le système capitaliste.
Originellement fondé à Mirpeix en 1982 par une vingtaine de personnes, le Village Emmaüs s’est installé à Lescar cinq années plus tard. La communauté autogérée ne perçoit de financement ni public ni privé. Elle repose sur une autonomie alimentaire, portée la Ferme alternative ayant vocation à préserver les espèces végétales et animales de la région. Son autonomie est aussi économique : les habitants ont développé des activités de recyclage et de déchetterie (aujourd’hui intégrées dans des partenariats avec la Communauté d’agglomération Pau-Pyrénées et de la Communauté de communes du Miey de Béarn), et de construction d’éco-habitats aux formes loufoques, inventés et partagés entre les habitants.
Partant d’un esprit de résistance, le Village est devenu un laboratoire expérimentant une nouvelle forme de société, éclairée par le principe de « désobéissance civile ». Les habitants y ont fondé un projet de vie qui, loin d’être coupé du monde en autarcie stérile, initie des projets culturels engagés (Les Utopiades, lancées en septembre 2014 entre autres exemples) et s’investit dans les luttes politiques et sociales de son époque. Ils militent notamment pour l’arrêt des négociations autour du TAFTA et revendiquent un débat public transparent et d’envergure autour de ce traité.