Aux Translatines, les Colombiens de Teatro Petra sortent le flingue
Qu’est-ce qui empêche une société d’éclater ? C’est la peur. La peur de l’autre, la peur de la dégringolade sociale. En Colombie, il fait frapper un peu plus fort. Fabio Rubiano Orjuela, auteur et metteur en scène de la compagnie Teatro Petra, est tombé sur une nouvelle japonaise qui prône qu’une société a besoin d’un meurtre au moins tous les cent jours. A-t-il pensé au modèle étatique français quand il a imaginé que cette mise à mort nécessaire soit organisée par un service spécial du gouvernement ? Ou plutôt au concept de meurtre rituel, des Maya au Sacre du printemps ? Le rituel fictif donne lieu à une messe radiophonique, célébrée par un prédicateur.
Qui doit mourir ? Au sein de la famille qui a été obligée, par missive administrative, de choisir la personne à sacrifier, c’est la pagaille. Les secrets inavouables se révèlent les uns après les autres. On vote et on triche. Un spectateur aussi est sommé de glisser son bulletin dans l’urne. A la fin, Sara, qui était désignée revient et empoisonne la famille entière. Ou pas. On propose différents dénouements et cette fois, chaque spectateur se positionnera, en secret. Orjuela s’amuse en racontant qu’« en Colombie, notre slogan publicitaire est : Et dans votre famille, qui sera la victime ? Nous avons constaté que tout le monde avait une personne en tête ».
« Sara dice » pointe les piliers de l’organisation de la société : la famille, la religion, le travail, l’état, le classement des êtres en utiles et inutiles. Jouée en bi-frontal, le spectacle croise différents lieux, familles et situations, mettant en scène le principe même de l’organisation du vivre-ensemble. Fin et complexe, jouissif et lucide à la fois, la pièce est portée par une troupe qui l’a développée sur le plateau. Chez eux, la création n’est pas précédée d’un travail de discussion autour d’une table. Jamais.
« Personne n’écrit mieux qu’un acteur sur scène. Quand on écrit ce qu’on est en train de jouer, on touche à la vérité », dit le metteur en scène. La vérité visée est celle du théâtre, du rapport entre le réel et sa représentation. Le réel est celui de la violence dans les non-dits, à l’intérieur de la cellule familiale. Cette violence n’est pas qu’extérieure, pas uniquement celle du pistolet braqué sur la personne en face ou même sur le public, celle des tirs qui sèment l’inquiétude sur les rangs. C’est aussi la violence sous-jacente et non-avouée dans les rapports humains. Petit à petit elle se dévoile. Cette pièce autour de ce que dit Sara (en Angleterre ce serait « Simon says ») s’avère inénarrable dans sa capacité à nous renvoyer à la vérité, par sa liberté et la finesse de son trait caricatural.
Teatro Petra va par ailleurs clôturer le festival, et ce avec une autre pièce de la plume d’Orjuela et sa troupe, « El vientre de la ballena », où il s’agit de trafic d’organes, de proxénètes, de verdicts judiciaires et de média. Rdv samedi 19 octobre à la Maison des associations de Bayonne.
Thomas Hahn