Du 10 mars 2011 au 15 septembre 2011, sur le site du Musée de Jeu de Paume, l’exposition Identités Précaires présente une vingtaine de projets nous interrogeant sur l’anonymat et l’identité comme phénomène instable. Anonymous, mème issu de la cyberculture, nous propose un nouveau modèle d’action collective.
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« We are Anonymous. We are Legion. We do not forgive. We do not forget. Expect us. »
Devise des Anonymous
Le militantisme anonyme a longtemps été jugé avec méfiance, voire avec une certaine suspicion de lâcheté. Mais dans notre époque de surveillance globale, la dissimulation semble pourtant être le meilleur outil des activistes.
Aujourd’hui, dans le nouveau territoire en perpétuelle extension qu’est le web, une nouvelle espèce de rebelles a vu le jour : les Anonymous, les Anonymes...
Derrière cette étiquette collective, une somme d’identités dispersées et autonomes, une multitude1, diraient les penseurs altermondialistes Negri et Hardt. Une dissidence plurielle sans leader ni mot d’ordre, si ce n’est la défense à tout prix des libertés d’expression et de circulation, sur le web comme ailleurs. Pas de leader, mais un seul visage : celui de Guy Fawkes2, inspirant le masque du héros vengeur de V comme Vendetta, la bande dessinée culte d’Alan Moore et David Lloyd.
Lorsque le web a vu le jour, inaugurant de nouvelles pratiques communicationnelles, les plus férus de ces échanges dits « virtuels » se retrouvèrent sur des sites appelés imageboards, des plate-formes anonymes de partage d’images. Beaucoup des utilisateurs de ces sites étaient des hackers, ces « bidouilleurs » s’amusant à aller toujours plus loin dans le détournement des objets informatiques et cherchant toujours à repousser les limites fixées par les dispositifs sécuritaires.
Anonymous n’était à l’époque que la signature par défaut de ceux qui choisissaient de ne pas se dénommer lorsqu’ils postaient des images.
À partir de 2003, ces réseaux d’internautes commencent à revendiquer cette appellation générique : le collectif est né.
En 2006, année de la sortie du film V comme Vendetta3, les chosent prennent une toute autre ampleur, bien plus politique.
Au gré de leurs indignations, les Anonymous lancent leurs premières attaques en inondant les sites ennemis d’informations inutiles qui les rendent inutilisables, provoquant un « déni de service ».
En 2008, le Projet Chanologie regroupe les nombreux raids s’en prenant à l’Église de Scientologie.
En 2010, Opération Payback et la campagne Avenge Assange viennent prêter main forte à Wikileaks et à son fondateur, censurés et traqués de toute part.
En 2011, les Anonymous utilisent leur force de frappe pour soutenir les révolutionnaires tunisiens et égyptiens, lors d’attaques qui empêcheront les dictatures de reprendre le contrôle du net, base arrière des insurgés.
En avril dernier, l’opération Sony s’en prend aux serveurs de jeux en ligne du géant de l’entertainment, afin de défendre les droits des consommateurs. Mais la trivialité du motif (défense des gamers) laisse apparaître les premiers signes de division au sein du mouvement. Pour une partie du réseau, cette attaque galvaude le sens de la lutte des Anonymes. Aujourd’hui, au sein du noyau dur, un règlement de compte semble avoir lieu...4
Impossible de dire qui sont les Anonymous. Cette communauté est ouverte, telle une nuée d’oiseaux allant dans la même direction. À tout moment, l’on peut la rejoindre ou la quitter.
Si cette démarche n’est pas artistique, à proprement parler, elle n’en est pas moins fondamentalement culturelle, avant d’être politique. De plus en plus d’Anonymous postent sur le net des messages subversifs concernant tous les aspects de la vie. Petit à petit, ce réseau déborde du seul milieu des hackers. Ainsi, nous assistons à une véritable révolution dans la relation locuteur/destinataire :
Si je ne sais pas qui me parle, que devient mon rapport au message ?
1« La multitude est un réseau ouvert et expansif dans lequel toutes les différences peuvent s’exprimer librement et au même titre, un réseau qui permet de travailler et de vivreen commun ». Negri et Hardt, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, Paris, La Découverte, p. 7.
2http://en.wikipedia.org/wiki/Guy_Fawkes