On sent comme le passage éclair d’un siècle à l’autre, un souffle violent chassant sans merci toute trace de ce romantisme auquel on aima s’attarder. Pas une hésitation, plutôt un tremblement. Non sans dégâts pour ce qu’il en est de notre perception du monde. Y-a-t-il deux Romain Zeder, deux époques ? Cohabitent-ils au même instant ?
Un aquarelliste à l’ancienne, à la mode des débuts du 19ème, embrumé d’absinthe peut-être, noyé dans l’eau de son pinceau et d’amour indulgent pour la ville, un peintre d’aujourd’hui ou de demain, pour qui l’image photographique mérite d’être violentée, la réalité fracassée et presque défoncée, arrachée à sa pauvre addiction au vraisemblable. Ça vibre sous la peau, sous les images, ça fait mal.
Un fabricant d’images maraboutées chez qui le mouvement intérieur secoue et cogne le visible comme un sourd, où l’émotion diffuse, parfois confuse, érafle de son couteau effilé et rend visible la blessure qui traverse secrètement les femmes, les hommes, les tables les verres, les objets et l’air ambiant entre eux. Un mouvement qui se fige après avoir jailli de l’image comme si nos yeux et notre esprit égarés, en se déplaçant trop et trop vite, laissaient sur nos rétines des traces, des traînées lumineuses sur sa toile.
Le lien aux êtres et l’attention très spéciale qu’on leur porte, enfin visibles, fait trembler l’air épais et bouger la couleur, comme si les corps de Pompéi pouvaient encore frémir et l’air entre eux vibrer de leur présence.
Comme si le temps présent, le nôtre, celui où de désespérantes injustices côtoient le vide relationnel qui nous inonde, était déjà passé depuis des millénaires, sans perdre la possibilité de surgir à nouveau, aux aguets, nimbé d’une obscure et lumineuse tristesse. Congelé dans la microseconde de l’instant où le poids du passé écrase les âmes et où quelque chose va peut-être advenir.