Cela fait un moment que je me bats bec et ongles pour attirer votre attention sur la figure du « blédard », ce reliquat de vieux symboles surannés dont, a priori, on ne devrait tenir aucun compte. Le blédard est un trope peu étudié, qu’on pourrait de prime abord considérer comme un simple stéréotype, une projection mentale réservée aux esprits les plus simples. Autrement dit, il ne s’agirait que de carburant à comédies de bas étage et on pourrait penser qu’aujourd’hui, on vaut quand même mieux que ça. Mais alors, le racisme et le classisme coloniaux dont ce trope est empreint, ne seraient-ils qu’une affaire de bêtise ? Si seulement c’était aussi simple.
En tant qu’héritiers des dévastations coloniales, nous, immigrés et descendants de l’immigration maghrébine, continuons de porter les stigmates honteux de nos parents et prédécesseurs venus en France, en quête de meilleures conditions de vie. Plusieurs décennies plus tard, nous continuons d’être réduits à une multitude de stéréotypes raciaux et sociaux qui essentialisent nos êtres et endiguent nos parcours socio-économiques. Les politiques publiques qui visent les descendants de l’immigration sont elle-mêmes nourries par des catégorisations sociales branlantes, marques de l’échec des pouvoirs publics à saisir nos réalités complexes.
Ce stéréotype du blédard est donc tout sauf une vue de l’esprit anodine. Il continue de hanter les institutions et une bonne partie des imaginaires collectifs. Nous ne pouvons donc que le subvertir et nous le réapproprier. D’où l’importance d’une esthétique du blédard. Nous avons toujours autant besoin de produire des représentations auto-déterminées, de nouvelles esthétiques pour se projeter et s’identifier et surtout, d’épistémologies qui nous sont propres, permettant de saisir nos identités et réalités occultées. Au même titre que n’importe qui, nous avons voix au chapitre, surtout au regard de ce qui nous concerne directement.
Quelles seraient les esthétiques du blédard ? Comment sont-elles appréhendées par les artistes inexorablement liés à l’immigration post-coloniale ? Comment font-ils sens des troubles du passé des parents tout en construisant l’avenir des futurs blédards ? Autant de questions qui ont tournoyé dans ma délicate petite tête durant la rédaction de cette chronique. Néanmoins, pour tenter d’y répondre, il paraît primordial de s’arrêter un instant sur les nature et fonction du stéréotype dans la construction et la mise en branle d’une pensée sociale.
Autrement dit, pourquoi diable en sommes-nous là ?
« We are told about the world before we see it. We imagine most things before we experiment them. And those preconceptions […] govern deeply whole process of perception » [1] Walter Lippman
Définir le stéréotype comme quelque chose de proche du préjugé semble relativement correct, du moins au point de départ, compte tenu des nuances et développements à apporter. Le stéréotype est un procédé stylistique permettant de décrire des figures, des phénomènes, des mécanismes, le plus simplement possible, ce qui prévaut étant le consensus entre l’émetteur et le récepteur. Dès lors, tout ce qui le sous-tend relève moins de la démonstration rigoureuse que de la croyance. Bien que connoté le plus souvent négativement, le stéréotype peut être un outil judicieux, sa fonction principale étant d’ordonner les représentations du monde au profit d’un groupe social donné.
Parler de stéréotypes peut nous amener à croiser les travaux du sociologue Walter Lippman, les présentant comme des « pictures in our head » [2] sur lesquelles nos projections, perceptions, rêves et désirs s’indexent. Bien qu’ils ne soient pas parfaitement représentatifs de la pleine réalité du monde, ils permettent de la rendre accessible en la simplifiant. Au bout du compte, le stéréotype compte, non parce qu’il définit les lois, mais parce qu’il en établit l’esprit. C’est un liant social nécessaire pour des humains désespérés face à la grandeur et la complexité de ce qui les entoure.
Pour comprendre la persistance du stéréotype comme outil d’interprétation sociale, il faut bien saisir l’importance de la représentation symbolique dans les relations sociales. Émile Durkheim définit les stéréotypes comme des « vertus sui generis qui jouissent de propriétés merveilleuses. Par elles, les hommes se comprennent, les intelligences s’interpénètrent. Elles ont en elles une sorte de force, d’ascendant moral en vertu duquel elles s’imposent aux esprits particuliers » [3]. Dans une perspective fonctionnaliste de la société, on se rend compte de l’importance du procédé dans une pensée sociale : l’individu reste membre d’une communauté et demeure contraint par une série de règles visant, supposément, à faire prospérer ladite communauté, sous peine d’un regrettable anathème.
Le stéréotype reprend-il le flambeau des mythes des sociétés antiques ? C’est une possibilité qui peut s’offrir, notamment si l’on s’intéresse au travail de Ludwig Wittgenstein au sujet de la règle, repris par Saul Kripke. « There are no facts in the world » [4] annonce ce dernier. Pour cause, dans des sociétés de plus en plus rhizomatiques où les liens d’allégeance et d’obédience se multiplient, dans des contextes épistémiques mais aussi psychologiques traversés par une multitude de confluents, il serait impossible de déterminer ce que fait et pense une personne effectuant une action. Nous pouvons interpréter, conjecturer, mais il n’y a en réalité aucune donnée brute permettant d’atteindre la conviction absolue. C’est en vertu de cette prise de conscience que Kripke propose la notion de « community view » : le rattachement aux règles établies plus ou moins selon l’usage au sein d’une communauté donnée [5]
Le travail de Kripke sur l’étude de la règle par Wittgenstein fait apparaître deux conceptions de la règle beaucoup plus consubstantielles qu’elles n’en ont l’air : la règle, au sens platonicien, qui aiguille les comportements et actions, et la règle d’un point de vue interprétativiste qui la relie à son interprétation. Autrement dit, les règles valent parce qu’elles peuvent être interprétées, relativisées, afin de saisir la façon dont elles ont été conçues et les situations dans lesquelles elles ont cours. C’est ce qui nous intéresse dans la compréhension du pouvoir du stéréotype. Il serait une règle tacite moins légitimée par sa capacité à décrire et expliquer les réalités que par son itération, souvent par les classes dominantes bénéficiant des supports sociaux et culturels propices à sa diffusion. Il n’est donc pas difficile de comprendre comment le stéréotype a pu et continue d’être la meilleure façon de faire perdurer les discriminations sociales.
Rejeton d’un pays en constant bouillonnement identitaire menant davantage les individus à l’auto-dépréciation qu’à l’auto-acceptation, j’ai passé la grande majorité de ma vie à voir dans la France un pays de Cocagne social. On y fait, on y est, tout ce qu’on veut. Et si l’on doit prendre de la graine en matière de progrès vers la justice et l’équité, c’est bien de cette somptueuse nation ! Y découvrir l’un des cœurs battants d’un système néocolonial insidieusement dissimulé fondé sur l’exploitation des corps, compétences et identités post-coloniales, fut une surprise de taille pour la Dorothy [6]que j’étais (et continue d’être). Les pressions, tensions, déchirements, se multiplient et nous étrillent à qui mieux-mieux. Les affres de procédures administratives ampoulées, les files d’attente interminables dès l’aube, les humiliations aux guichets, l’accès à l’emploi limité, la précarité constante et assourdissante, les fétichisations sexuelles qui continuent de nous faire passer pour des Schéhérazades en goguette... Sans compter les ignominies commises contre les personnes sans-papiers indolemment rayées du circuit social légitime et dont l’essence même est liée à un illégalisme. La route de brique jaune nous apparaît plus caca d’oie qu’autre chose et il n’y a rien d’étonnant à développer, au mieux, une frustration perplexe face à l’absurdité de la situation, au pire, une colère désemparée prête à tout engouffrer sur son passage.
Passée la désillusion de l’arrivée et le constat de l’abîme entre les discours publics et les inclusions socio-politiques effectives, je ne cesse pourtant d’être ébahie par la volonté tenace d’un certain nombre d’institutions à vouloir tout de même renverser la vapeur. Il s’agirait, contre toute attente, de promouvoir un véritable modèle de société républicain condamnant fermement les discriminations envers les immigrés et leurs descendants et les injustices qui en découlent. Puisque l’engagement est si vif, les politiques publiques qui en émergent devraient montrer des semblants de réussite, n’est-ce pas ? Je fais sans doute preuve d’un certain optimisme en octroyant un but d’inclusion à ces politiques alors qu’il s’agit plutôt d’intégration, ce qui annonce déjà la couleur.
Pour répondre à ces interrogations, rien de mieux que de se pencher sur les politiques d’intégration des « filles de cité » à travers la pratique sportive, qui ont permis l’émergence de cette nouvelle catégorie sociale en tant que public-cible primordial. Aussi louables soient-elles, pardonnez-moi mon Dieu, mais je ne peux m’empêcher d’en glousser tant elles sont empreintes de stéréotypes, et j’en rirais à gorge déployée si les implications concrètes en étaient moins tendancieuses.
L’étude de Carine Guérandel [7] le montre assez finement : on part du postulat selon lequel les « femmes de l’immigration » et leurs descendantes, incarnées par les « filles de cité », baignent dans un espace ultra-masculinisé et souffrent de l’indécrottable penchant des hommes de l’immigration pour le vice, la criminalité, le rigorisme, bref, toutes les plaies d’Égypte. Que le sexisme, les LGBTQI+phobies ou plus largement, tout type de heurt social soit présent chez les immigrés et descendants de l’immigration est une chose. Néanmoins, ce qui nous intéressera, ce sont les entrelacs de racisme et de sexisme postcolonial dont se réclament ces politiques, notamment dans leur attachement à ce que Guérandel nomme « l’intégration par émancipation », ce qui implique nécessairement une rupture avec l’Islam (et peut-être une forme d’africanité ?) supposé despotique et liberticide.
Avant même d’envisager des politiques d’inclusion destinées aux femmes, mises en place au tournant des années 2000, le sport était déjà considéré dans les années 80 comme une solution idéale à la recrudescence des « violences urbaines », un exutoire judicieux pour canaliser les incompréhensibles transports des jeunes basanés déchaînés. L’oubli des femmes à ce moment renvoie à une conception faussée des quartiers populaires comme étant inexorablement sous la férule de patriarches en puissance (et barbus avec ça). Après deux décennies d’intégration (non sans racialisation genrée de rigueur), on finit par s’intéresser aux jeunes femmes des quartiers populaires ou devrait-on dire, « filles de cité » de « quartiers sensibles ». Bien que ces catégories soient sans équivoque, s’intéresser aux sous-catégories qu’elles impliquent montre à quel point elles relèvent d’une construction médiatique et symbolique dépolitisée, chargée de représentations sexistes et racistes. Sans trop de surprise, vous les reconnaîtrez aisément : d’un côté la « fille soumise » (comprenez voilée) qu’il s’agit de libérer du joug de l’obscurantisme barbare des ouvriers noirs et/ou maghrébins. De l’autre les « crapuleuses », les délinquantes de bas de bâtiment qui se contentent de bêtement marcher dans le sillage de leurs homologues masculins. Enfin, évidemment, « la beurette » , dont la sexualité et le corps sont vilement accaparés par les hommes de leur entourage. Décidément, pauvres de nous, femmes africaines. Heureusement qu’on fend la bise pour voler à notre secours.
Blagues mesquines à part, le stéréotypage des jeunes femmes des quartiers populaires issues de l’immigration, aussi bien intentionné soit-il, ne fait que dépolitiser nos réalités et les violences des groupes dominants. Au bout du compte, on nous amène au mieux à troquer une domination contre une autre, au pire, à nous ensauvager en vertu d’une sotériologie [8]déshumanisante (tiens, cela me rappelle des périodes de l’Histoire qui riment avec « OLONIALISMES »). Vouloir inclure les femmes minorisées dans l’espace public ne cessera jamais d’être méritoire. Néanmoins, il s’agit de se demander comment une telle promptitude à résoudre les inégalités de genre dans les quartiers populaires peut mener à une forme de perpétuation de stéréotypes raciaux et de genre : les choix vestimentaires de certaines femmes de confession musulmane continuent d’être liés à une forme d’aliénation aux normes patriarcales dites « islamistes », les pratiques sportives sont adaptées au public féminin en vertu de différences physiques naturalisées, voire essentialisées. Pour reprendre les termes de Carine Guerandel, « ces orientations qui cherchent à "mettre au sport" les adolescentes, participent moins à la déconstruction des principes au fondement de la domination masculine transversale à l’ensemble du champ social, qu’à leur reproduction ». Autrement dit, on part d’une conception de la pratique du sport dépendant de la violence inhérente aux jeunes hommes immigrés qu’on tente de canaliser, et on s’intéresse, dans un second temps, aux jeunes femmes, et ce, toujours en vertu de la violence de ces hommes. Conséquemment, les discriminations et fractures inhérentes se perpétuent et l’espoir d’une belle inclusion proprette ne peut que s’effriter.
Il existe mille et une manières de démontrer l’ancrage des stéréotypes dans la pensée sociale française. S’ils ne sont pas un agrégat de poncifs distincts de la réalité, ils donnent lieu à des systématisations de projections simplistes. C’est leur plus grand vice : loin de seulement fournir un cadre d’interprétation lissé des relations sociales, ils peuvent mener à l’annihilation pure et simple de nuances et subtilités salutaires. Nous ne le savons que trop bien en tant que blédards et enfants de blédards. Nous nous tenons au bord des fractures coloniales, entre des passés meurtris, des avenirs incertains et des présents troublants. Pourtant, chaque jour qui passe, nous rêvons de faire la nique aux déterminismes dont nous sommes l’objet. Et puisque le stéréotypage est un processus avant tout stylistique, qu’est-ce qui nous empêche de le subvertir et de restéréotyper le blédard à notre profit ? Recomposer le stéréotype, c’est recomposer la façon dont nos réalités sont perçues, menant ainsi à l’amélioration de nos conditions matérielles tout en nous permettant de nous construire avec davantage de dignité. C’est pourquoi je vois dans l’esthétique du blédard une esthétique de la réinvention, la transmutation du grotesque et du ridicule en quelque chose de furieusement piquant. J’ai donc voulu rencontrer Filles de Blédards et Chkoun is it ?, deux collectifs qui représentent une génération d’artistes liés à l’immigration post-coloniale en constante recomposition du monde hostile qui les entoure.
Bien qu’ils emploient des médias différents, les démarches de Filles de Blédards et Chkoun is it ? se recoupent à mes yeux en deux points majeurs : la production de nouvelles esthétiques par l’hybridation de différents courants et la formulation de nouvelles épistémologies. Filles de Blédards est l’association de Mariam, Alexia et Kahina, trois artistes jouissant chacune de son cheval de bataille. C’est la mise en commun de différentes compétences et sensibilités qui a permis à ce collectif d’artistes pluridisciplinaire multimédia de se faire jour. Photo, design graphique, organisations de teufs, de conférences, de lectures-débat, peu de choses sont laissées de côté. Comme son nom l’indique, Filles de Blédards embrasse pleinement l’héritage socio-culturel des ascendants, pour l’honorer, mais aussi pour le questionner dans un monde traversé par les tensions raciales et genrées post-coloniales. Néanmoins, il s’agit de dépasser l’appartenance à l’immigration post-coloniale. L’objet est de faire valoir les constructions et structurations complexes des identités contemporaines au regard de l’appartenance sociale, les processus de racisation, les orientations sexuelles, les identités de genre, les confessions religieuses. Tout ce qui rend les réalités si marbrées.
S’intéresser à l’esthétique de Filles de Blédards, c’est se plonger dans un kaléidoscope d’influences et d’identifications, ne serait-ce que sur les réseaux sociaux. Des typographies cyberpunk néon aux Power Rangers en gandoura en passant par des projections afrofuturistes : on sent tout au long du cheminement les bouillonnements identitaires et ce qu’ils génèrent de plus passionnant.
Ce bouillonnement identitaire, on le retrouve au sein de Chkoun is it ?, un collectif artistique qui s’attache à repolitiser la fête et à en faire un espace de construction et de réflexion sur les identités post-coloniales (et peut être de mobilisation et de représentation ?). Créé par Sofia et Dourane, Chkoun is it ? entend redonner un coup de polish à un milieu de la teuf parisien souvent raciste, misogyne, queerphobe, astreint à des normes limitantes et limitées. On insuffle à une atmosphère dominée par des codes culturels et artistiques blancs, un cocktail détonnant d’énergies et d’identités plus bigarrées les unes que les autres. Il ne s’agit en aucun cas d’entretenir un exotisme orientaliste censé attiser le désir de l’inconnu, mais, au contraire, d’affirmer la légitimité de tout contrevenant à l’ordre blanc hétérosexuel à jouir des frénésies de la nuit. Musicalement, Chkoun is it ? propose des sets intelligemment conçus pour célébrer la beauté de la fusion et de la réappropriation. Acid, afrobeat, techno, chaabi, les tribulations spirituelles résonnent avec la nébuleuse musicale qu’on nous offre, le tout sur fond de vaporwave [9] délibérément kitsch qui rappelle combien nous ne cesserons jamais d’être sarcastiques.
Si j’insiste sur l’importance de ces melting-pots esthétiques, ce n’est pas pour me pâmer vainement. Il y a quelque chose de fascinant dans cette inclination grandissante vers l’identification multiple. Jamais il n’y a eu autant de façons d’interpréter le monde et l’hégémonie des dogmes sociaux s’écroule lentement mais sûrement. Contre la torpeur postcoloniale, contre la mise en errance des âmes, les artistes de Filles de Blédards et Chkoun is it ? taillent des brèches à travers les dimensions et stimulent la plasticité des réalités et des imaginaires. C’est aussi ça l’esthétique du blédard dont je rêve : un caméléonisme puissant qui fait sens des courants parfois discordants du postcolonialisme à travers une ironie consciente d’elle-même. La commémoration de notre histoire par l’insolence.
Au-delà de la création d’esthétiques, il y a ici un véritable travail épistémologique qui consiste moins à représenter le monde qu’à le repenser et se le réapproprier. Par monde, j’entends la façon dont nous concevons, pratiquons et projetons les structures sociales, l’expression artistique, l’acquisition et la transmission de connaissances et pourquoi pas, la gouvernance politique. Sofia, de Chkoun is it ? m’explique que le collectif organise des soirées spécifiquement adaptées aux parents des jeunes teufeurs. Pour iel, il s’agit de stimuler la connivence inter-générationnelle en faisant de la fête un liant social et culturel et en adaptant les programmations à un plus grand public. Grâce à un certain éclectisme musical, on permet à divers univers de se rencontrer, de se reconnaître et surtout, on fait en sorte de chasser la honte et la clandestinité associées à la fête. On a l’opportunité, si la situation familiale le permet, d’inclure ses parents et de leur permettre d’exister dans un pan de leur intimité. On ouvre les possibles, on en finit avec le stéréotype de la famille d’immigrés à laquelle on doit nécessairement mentir pour exister. On repense les liens familiaux, on leur donne la possibilité d’évoluer autrement loin, on met de côté les antagonismes encombrants, on balbutie de nouvelles structures sociales. Rien que ça.
Enfin, on repense, dans les arts ou ailleurs, les différentes conceptions de la beauté. Qu’est-ce que le beau ? Qu’est-ce que le laid ? Quel rapport avec la moralité, si tant est qu’il y en ait un ? Mariam de Filles de Blédards note l’intérêt grandissant des arts et de la mode pour le laid réinterprété ironiquement, intérêt qui dénote une conformité aux systèmes d’appréciation qui structurent le beau et le laid. Aussi révolutionnaire le projet puisse-t-il paraître, pas de véritable bouleversement : on reste dans ses ornières. Pour Mariam, la véritable laideur, c’est le consumérisme effréné sans queue ni tête, la destruction de l’environnement, la dissolution des liens sociaux, bref, c’est l’atteinte aux communautés et au lien vivant qui les transcende. Ainsi, l’esthétique du blédard pourrait être une impulsion militante, pour répondre aux blessures de l’injustice. Elle ne se complaît pas dans les éblouissements du capitalisme, elle cherche continuellement à célébrer ce qui vit et permet de vivre. Il ne s’agit pas seulement de mettre une djellaba sur une combinaison en latex.
Cela dit, tout comme L’Écho des Banlieues évoqué dans la précédente chronique, Filles de Blédards et Chkoun is it ? redoutent d’être happés dans les siphons du capitalisme avec lequel ils sont contraints de frayer. La crainte est fondée, mais ce n’est pas une fatalité. Nous n’avons jamais eu autant d’artistes prêts à apporter leur contribution aux sociétés justes et dignes pour lesquelles beaucoup se saignent. Attentifs aux soubresauts de l’environnement social, culturel et politique, ils sont de plus en plus nombreux à refuser la dépolitisation et à procéder à un retour critique sur leurs pensées et pratiques. On leur espère le meilleur et on souhaite de tout cœur qu’ils continuent de faire honneur aux blédards de toute part, en attendant leur avènement.
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Youssef Belghmaidi