Enfin
des cadeaux intelligents !





   




« Tel Aviv fever » (3) Et pendant ce temps, à Gaza, les drones…




Les drones volent, les drones filment. Les drones éditent eux-mêmes leurs images. Que peut un drone ? En Afghanistan, en Iraq, en Syrie ou à Gaza, le drone surveille et espionne. S’il est armé, il attaque. Et il tue. À Gaza, le drone vient d’Israël… Et pourtant, le drone sait aussi danser, c’est ce que démontre Eric Minh Cuong Castaing, artiste associé au Ballet National de Marseille avec Phœnix, sa dernière création.

Digital native venu à la danse par les arts visuels, le jeune chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing interroge la danse face aux technologies numériques. Il vient de créer Phoenix avec l’équipe de Shonen au Festival de Marseille. Danseurs et drones investissent le plateau et Mumen Khalifa, danseur de dabkeh, une danse de groupe en ligne pratiquée dans plusieurs pays de cette région du monde et notamment en Palestine, apparaît en live depuis son appartement à Gaza.

Phœnix Shonen @ Sébastien Lefèvre

Khalifa nous raconte, dans une interview performée, son quotidien sous la présence permanente des drones israéliens. Il ne les a jamais vus, mais ils sont omniprésents et il a appris à les distinguer à l’oreille : « Leur son est comme une symphonie, une berceuse. Nous y sommes habitués. Si jamais je ne l’entends pas, je ne peux m’endormir car le silence annonce une situation anormale. On reconnaît le type de drone qui a des cibles particulières et ceux qui ciblent une grande zone. Quand le bruit est fort et agaçant, c’est un drone qui nous surveille, parce qu’il vole bas. Quand le son est faible et lointain, ce sont des drones qui volent haut. Ils portent des missiles et sont dangereux. »

Face à la webcam, Khalifa danse un solo de dabkeh. Il a grandi dans un camp de réfugiés palestiniens. Cette danse appartient à sa propre culture et à sa tradition, elle est son « arme de résistance ». Mais il l’a apprise via internet, ne pouvant sortir de chez lui pour jouer dans la rue, l’armée israélienne surveillant les habitants du camp. Ainsi la danse peut-elle révéler la violence et le paradoxe d’une vie qui se déroule dans une prison à ciel ouvert.

Phœnix Shonen @ Sébastien Lefèvre

Parkour sous les drones

Un des plus ardents souhaits de Khalifa était de voir, un jour, Gaza du ciel. C’est chose faite grâce aux drones de Phoenix. Et le violent paradoxe vécu par les Gazaouis n’en devient que plus palpable, les images prises en survol montrant le paysage urbain et la Méditerranée. Partout dans le monde, la mer est un lien avec d’autres pays ou d’autres continents. Mais pas ici, où le blocus israélien transforme le bleu maritime en bouclier.

Les images sont projetées depuis la régie du théâtre, tout comme celles où l’on voit performer les B-Boys du Myuz GB Crew. Un drone les filme lors d’une randonnée de Parkour, dans un bâtiment brut visiblement abondamment bombardé, dont l’état évoque les séquelles d’un tremblement de terre. Les escaliers en béton partent en vrille, et les sauts des danseurs s’arrêtent face au vide.

Phœnix Shonen @ Sébastien Lefèvre

Les drones filment la menace de chute, mais leurs images aériennes réalisent aussi un désir de liberté des Gazaouis, incarné par les acrobaties aériennes des danseurs. Ce sont des drones français, pas israéliens. Les danseurs en imitent les mouvements : le drone peut inspirer une écriture chorégraphique pour le corps humain. Mais Phœnix est un spectacle en deux parties, aussi radicalement différentes que le sont Israël et Gaza, deux volets brutalement séparés et pourtant liés. La pièce commence sur le plateau du théâtre, par un ballet pour danseurs et drones, un ballet aérien performé par des artistes chorégraphiques français. Par leurs positions très articulées et inclinées, ils explorent un terrain chorégraphique ouvert, sauf vers le haut : la danse aérienne des drones finit par clouer les danseurs au sol. Autour d’eux, les entités statiques et mécaniques se déplacent, elles, dans une liberté totale. Et parfois ils s’écrasent au sol, tel le Phoenix de la légende. Et voilà qu’à leur tour les danseurs se mettent à piloter des drones, pour participer à ce Parkour entièrement aérien, dans une virtuosité qui fait écho à celle de la Myuz GB Crew.

Phœnix Shonen @ Sébastien Lefèvre

Drones de questions

Et les questionnements autour de la danse s’envolent : Le drone permet-il de danser quand le corps en est empêché ? Le mouvement d’un bras ou d’une jambe est-il sans lien avec celui d’un objet autonome ? Le plaisir d’une pirouette, d’une accélération, d’une courbe dans l’espace qu’on éprouve en pilotant un drone, est-il si différent de celui d’un danseur qui pilote son propre corps ? Diriger un drone par la télécommande, est-ce un acte chorégraphique à part entière, au point qu’il peut se révéler être un acte musical ? Car dès que quelques drones se tiennent face au microphone installé sur le côté, s’en éloignent ou s’en rapprochent, leur bourdonnement, dans ses tonalités variées, crée en live cette symphonie dont parle Mumen Khalifa à Gaza.

À la fin, le public marseillais applaudit Khalifa et les danseurs du Myuz GB Crew, qui viennent saluer face à la webcam installée à Gaza, chez le danseur de dabkeh.

L’existence de Phœnix est en soi une victoire, révélatrice des contrastes et des frontières entre les réalités. Elle a été possible, entre autres, grâce à la fondation HOPE à Gaza City. Ni pièce chorégraphique, ni performance, ni spectacle-conférence, mais un peu de tout ça. Indéfinissable, perturbant, intrigant. Pour changer le regard sur Gaza. Et peut-être même sur la danse….

Thomas Hahn

PHŒNIX, conception & chorégraphie : Eric MCC avec les danseurs Jeanne Colin, Kevin Fay, Mumen Khalifa, Nans Pierson, et le collectif Myuz GB Crew
Robotique Drone : Thomas Peyruse, Scott Stevenson
Musique originale : Grégoire Simon & Alexandre Bouvier
Lumière : Sébastien Lefèvre
Dramaturgie : Marine Relinger
Regards : Alessandro Sciarroni, Pauline Simon.

En tournée :
19 octobre 2018 : Charleroi Danse, Belgique
26 et 27 octobre 2018 : Tanzhaus NRW, Düsseldorf, Allemagne
12 avril 2019 : Festival Bains Numériques, Enghien-les-Bains
23 Mai 2019 : Festival des Arts Numériques de Saint Orens


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