Noémie Saussereau écrit (des poèmes, des dessins, de petites formes en recueils) et a travaillé sur les représentations de l’enfant autiste et ses enjeux dans la littérature contemporaine, dans le cadre de ses études à Le Mans-Université. Elle nous a confié, accompagnée de quelques dessins de sa main, cette lettre à François Tanguy, parti il y a peu, qui inventait des moments scéniques inouïs et dirigeait le Radeau au Mans.
À Monsieur François Tanguy, je dédie le ciel bleu et le soleil radieux du sept décembre que vous n’aurez pas vus. Le temps était si beau, je marchais sous les arbres. Partout autour de moi, dans les rues de la ville, et dans les autres villes aussi, les gens vivaient parce qu’ils ne savaient pas que vous n’étiez plus là, que, par une nuit d’hiver, vous, voyageur, avez mené trop loin du bord votre radeau fébrile comme le jonc. Comment rester à terre si vous partez au large ? Dans quel immense désœuvrement nous laissez-vous, nous qui, jamais plus, n’attendrons, impatients, votre prochaine pièce ? Car attendre vos pièces, c’était déjà faire quelque chose de sa vie. C’était déjà vivre qu’attendre le retour de l’éclaireur. Sur quel rivage nouveau nous précédez-vous cette fois ?
Monsieur François Tanguy, vous n’êtes pas mort. Vous avez disparu, en plein travail comme en pleine mer, emporté, comme dissout, dans votre mouvement propre. Le vent d’autan, ce vent de fièvre, aura soufflé, finalement, plus fort que vous, plus fort que nous qui aurions voulu vous retenir encore un peu. Mais l’on ne retient pas en cage les âmes comme la vôtre. Emporté par votre mouvement, c’est ce mouvement que vous léguez. Qui maintenant perpétuera le geste ?
Je me souviens d’un homme qui, pour présenter Item à un public de lycéens dont il craignait, savait, d’avance, qu’ils ne se montreraient pas réceptifs à son travail, leur dit tout simplement : « ça s’adresse à vous ». Peut-être était-ce cela, aussi, François Tanguy : l’angoisse de n’être pas entendu ?
Mais je ne creuse pas plus loin, je ne souhaite pas savoir qui vous étiez vraiment, de peur de vous détruire en perçant le mystère dont vous vous entouriez et qui vous signifiait au point de devenir vous. Vous étiez ce mystère et vous étiez cette brume, et, au-delà, cette lumière, envoûtante, qui avait la puissance de l’incendie et la fragilité du cierge.
Votre seuil déserté, ne reste que la brume.
Votre seuil déserté, c’est l’abîme qui s’ouvre à nouveau, nous laissant, sans logis, vulnérables, tout au bord du vide et prêts à y tomber, tombant déjà peut-être…
Vous étiez un rempart entre le gouffre et l’Homme. Vous disparu, c’est ce rempart qui s’écroule. Qui veillera sur nous à présent ? Qui veillera sur ce qui, dans ce monde, reste, précairement, humain ? Et que vous dire de plus si ce n’est : merci. Merci à vous d’avoir vécu. Puissiez-vous aujourd’hui avoir trouvé le cœur des choses et nous apprendre encore à vivre sans rien céder mais en donnant beaucoup.
Depuis trois ans déjà vous me grondiez en insistant pour que je vous tutoie, mais, parce que l’on ne tutoie pas les génies, je vous dirai vous une fois de plus, une dernière fois et pour toujours : soyez en paix et puissiez-vous, enfin, ne plus souffrir.
Soyez en paix.
Noémie Saussereau