Sur Notre-Dame de Paris, beaucoup de réflexions se bousculent dans ma tête. Je vous les livre en vrac, et j’essaie d’en faire un article... J’ai été émue, voire bouleversée, à mon insu, et surprise de mon émotion d’athée gaucho vaguement anar.
Avec le recul, ce qui m’émeut ce sont moins les destructions de la pierre que l’atteinte à l’imaginaire (Totor, Quasimodo, Esmeralda, ou même Anne Sylvestre, tout ça). Et, quand même, cette création collective d’une époque massacrée par sa réputation dans l’Histoire, pas plus « obscurantiste » que la Renaissance qui l’a suivie, avec ses grandes expéditions coloniales et son grand féminicide des sorcières.
Émue, aussi, du partage de l’émotion, bien au-delà des frontières. Je suis un peu défiante vis-à-vis de ceux qui tordent le nez, sarcastiques, sur toute sensibilité collective, j’y vois un certain mépris. Et quand elle s’exprime autour d’une œuvre d’art, ce pourrait être une bonne nouvelle.
Après, vient bien évidemment le temps de la récupération, du discours patriotard et bigot, de la concurrence obscène des milliardaires.
Viennent aussi les critiques, car une émotion partagée n’est pas condamnée à être unanime. Beaucoup d’amis s’émeuvent qu’on en fasse infiniment plus pour des dégâts matériels que pour la détresse humaine et l’urgence écologique. J’entends. Et je préfère, aussi, qu’il n’y ait pas unanimité, ni une communion qu’on voudrait nous imposer.
Alors, sommes-nous si résignés, si fatalistes devant le rouleau-compresseur du capitalisme, qu’on n’imagine pas avoir l’ambition d’une transformation totale de la société, pour protéger et préserver la planète, ses habitants, humains et autres, et ceux de ses objets qui en valent la peine, en en créant d’autres ? Protéger, préserver, plutôt que « conserver ». Parce que non, Jupiter, nous ne sommes pas (plus ?) un peuple de bâtisseurs, sauf de bétonnage inutile et de grands projets dispendieux et polluants.
Nous sommes visiblement, majoritairement, un peuple de conservateurs obsédés par l’idée de reconstruire à l’identique « un marqueur de notre identité » qui pourtant a connu de multiples transformations. On commence d’ailleurs à entendre le chant des réacs qui trouvent qu’on en fait trop pour la création et pas assez pour le patrimoine (cf Rykner de La Tribune de l’art).
Une vieille antienne droitarde qui n’imagine pas qu’on puisse consacrer davantage de moyens aux deux au détriment, par exemple, de nos aventures militaires à l’étranger. Et notre rapport à l’art (je parle du fait gouvernemental et majoritaire) est largement conservateur, privilégiant avant tout ce qui sacralise et surplombe.
On peut d’ailleurs le remarquer avec un certain amusement : notre laïcité tant vantée s’arrête à l’art. Il est assez curieux de voir les nationaux réacblicains si braqués sur le droit au blasphème, brailler dès que celui-ci touche l’art. Caricaturer Mahomet, OK, mais touche pas à Eschyle, ni à Notre-Dame, hein !
Il faudra un jour déconstruire vraiment ce rapport au sacré hérité de Malraux, et avant lui de nos Académies monarchiques, pour renouer avec le sens anthropologique de l’art et de la culture – y compris le patrimoine – en faire une appropriation partagée qui autorise la diversité des sensibilités plutôt qu’un objet de culte dans l’union nationale. Bref, pouvoir aussi le blasphémer (comme quand mauvaise Française, je préfère le gothique tardif anglais). Retrouver un partage du sensible à travers le débat critique.
Et l’on pourrait faire de cet accident un symbole d’une architecture et d’un art collectif et durable, résilient, qui résiste au feu. Symbole aussi de ce qu’il en est de la vie des objets comme des hommes, avec ses cicatrices qu’on n’a pas à effacer. Symbole de l’entrelacement des cultures et des époques. On aime Rome, aussi, parce que ses monuments sont faits de bric et de broc, entre fondations médiévales, façades Renaissance et intérieurs baroques.
Bref, on pourrait repenser le rôle de l’art, passé, présent, futur, dans une société et briser le totem et tabou de sa sacro-sainte autonomie pour le relier aux enjeux politiques, sociaux, économiques, du présent. Ça vous dit ?
Valérie de Saint-Do