Neuf minutes pour exprimer, sans lourdeur ni facilités, la violence d’une société. Tout est suggéré rien n’est imposé. La proposition artistique me fait comprendre une chose, le propos vif et précis vaut toutes les longueurs souvent injustifiées ailleurs. Comme une irruption, l’actrice débarque d’un pas décidé dans l’environnement du spectateur, capture son attention, lui fait retenir son souffle et part. Le discours est explicite, comme une simple goutte elle cache des marées humaines. Et parle à celui que la pression extérieure incite à l’auto-exploitation sans qu’il en soit conscient. Ici, l’on ne connaît pas la nature du travail, juste un travail, n’importe lequel. Celui qui automatise et finit par aliéner son exécutant. La déshumanisation du corps au travail frappe le spectateur. Devenu pantin, il illustre justement ce que le corps du spectateur sait mais que celui-ci refuse parfois d’entendre : ses limites. Standardisation vestimentaire, répétition des gestes et des déplacements, répondant aux ordres d’une hiérarchie. Ceux de cet interlocuteur absent. Ceux pris en note, qui obligent, qui pèsent de plus en plus lourd sur les épaules du travailleur jusqu’à l’obliger à la fuite.
L’actrice étouffe, le jeu construit progressivement l’isolement du personnage, monte des parois de verre. Elle nous fait face, semble nous observer, nous analyser et inversement nous la regardons, nous la jugeons. C’est jouissif, j’attends d’habitude du théâtre que le quatrième mur tombe, ici pas de scène, pas de mur, il y a même contact physique avec avec le spectateur. Progressivement l’actrice, consciencieusement appliquée à ses fonctions, se retrouve seule dans un espace pourtant ouvert (open space ?). Elle est enfermée dehors ! Outre cet habile jeu de miroir à portée « morale » qui nous renvoie à nôtre passivité, il y a un décalage visuel.
Son rythme n’est pas le nôtre. Le spectateur est aussi intégré physiquement à la représentation. Tout autour de l’espace investi, il bouge et sert de repère. Dans le jeu de la profondeur, les gestes de la danseuse semblent accélérés, une avance rapide uniquement perceptible dans la superposition des déplacements, exacerbée par une parfaite maîtrise du corps. De la danse associée à un environnement sonore rythmé tout aussi agréable qu’oppressant. La performance corporelle crée la même antinomie : si la saccade des mouvements provoque une déformation douloureuse des expressions de son visage, elle est aussi créatrice d’une esthétique du corps en action. Intégration de l’auditoire, convocation contradictoire des sens, jeu sur la confusion entre réel et fiction. C’est bref, mais suffisant. Anecdotique, diront certains, mais efficace. Sans grimage, l’actrice se mêle à l’attroupement, met fin à la représentation et témoigne de l’anonymat du personnage. Tout à coup, il devient n’importe quel badaud et propulse la représentation dans le réel.
Le signe d’une mise en abyme qui donne subtilement une tout autre dimension à ces neuf minutes. Comme toutes propositions réussies, Plastik élève notre exigence et nous donne envie de plus, suscite des désirs surérogatoires. Les repères à la craie me semblent soudain superflus, j’aimerais le système sonore dissimulé et pourquoi pas une immersion sauvage du spectacle dans l’environnement mis en scène ? Cette forme courte pourrait être poussée hors de sa zone de confort, être présentée comme une performance sur le parvis de la Défense ou un autre centre d’affaires. Tenter de brusquer la réalité. L’actrice abattrait dès lors la dernière frontière, entre le message et sa portée, situation propice à la réaction du passant. C’est et ce serait totalement excitant. Existant.
Alexandra A.
Sabrina Boukhenous vient de terminer sa formation au conservatoire de Villeurbanne en art dramatique. Elle est aujourd’hui membre de la compagnie Veux-tu bien te taire ! au sein de laquelle elle développe un spectacle en caravane. Autre réflexion sur le théâtre en tant qu’institution. Elle a collaboré avec La Dernière tranche, à Besançon, de 2007 à 2010, fait un stage au Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine et Hélène Cinq, en 2008. Elle est danseuse pour plusieurs projets participatifs avec Julie Desprairies et Marcelo Sepulveda à Lyon, et pour le projet Vrac de la compagnie Teraluna avec Sébastien Barberon, metteur en scène et chorégraphe de Besançon.
Festival du Bitume et des plumes.
Le Collectif Haïku
Le Scènacle.