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Où notre cher Bilbo s’aventure dans le temple parisien de la culture...




Quand j’appris que la Bibliothèque nationale de France allait consacrer, à l’automne-hiver 2019-2020, une exposition à l’œuvre de Tolkien, passé mon enthousiasme je ne me posai qu’une question. Comment une telle institution, monument de la culture « savante », pourrait-elle rendre l’une de ses expositions accessible au « grand public », celui de Tolkien, qui ne fournit sans doute pas la majorité de ses visiteurs habituels ?

Je visite l’exposition le premier week-end après son ouverture, un froid dimanche après-midi. Il bruine et pourtant des dizaines de visiteurs se massent sur le parvis, certains entre amis, en couple ou en famille, d’autres seuls. Je fais la queue jusqu’à l’entrée puis je prends la file « billets réservés en ligne » et je parviens vite au contrôle de sécurité. Je rejoins les files d’attente prioritaires aux portes de l’exposition, sans passer par la case billetterie. En réservant sur internet, j’ai gagné 2h.

J.R.R Tolkien © DR

Je pénètre dans l’univers de Tolkien. Dès la première salle, qui est en fait un couloir, je suis inquiète. Je piétine dans la foule pour essayer vainement de lire les panneaux. Je ne vois rien. Je dois vous avouer que je suis de ceux qui aiment tout lire, parfois même jusqu’aux crédits d’exposition, mais je comprends vite qu’ici, je dois me résoudre à faire des choix. Je ne serai donc pas une fourmi, je serai un papillon [1]. Je passe ce couloir, j’aperçois une frise à gauche et des cartes à droite, je ne m’arrête pas, j’entre dans un espace plus aéré. Je ne suis qu’au début de mes surprises : J. R. R. Tolkien est aussi un très bon dessinateur, cartographe et aquarelliste.

Exposition Tolkien, Voyage en Terre du Milieu © DR

Identifiés par un symbole reconnaissable sur les cartels, des dizaines de pages manuscrites, croquis, cartes, aquarelles et ouvrages, illustrent l’œuvre, racontée sur les panneaux d’information. Mais ce qui fait l’exposition, c’est la mise en perspective de ces documents par les collections de la BnF, qui aide le visiteur à convoquer l’imaginaire de l’artiste et à se plonger dans son univers. On comprend que les contrées et les héros inventés par Tolkien sont inspirés de faits historiques et de légendes du monde entier. « Tolkien a ainsi cherché un moyen de parler du monde réel, en s’affranchissant du cadre de nos perceptions habituelles » (dossier de presse).

Bibliothèque nationale de France © DR

Je suis un papillon. Je me laisse porter par ce qui m’attire. Je ne m’arrête pas partout. Environ une heure après être entrée dans l’exposition, je parviens à la fin de la partie consacrée à l’univers de Tolkien, à ses œuvres les plus connues – Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux.

Je ne suis pas experte de cet univers. Je ne connais pas tous les détails, à peine le fil de ses histoires. Mais j’ai appris des choses : que Tolkien était professeur, qu’il a mis au point des langues entières et que les femmes avaient une place particulière dans les aventures de ses héros masculins. Quelques jours avant cette visite, j’ai vu le film du Finlandais Dome Karukoski (2019) qui m’a aidée à comprendre l’idée générale de l’exposition tout en étant papillon. Il m’a aussi permis de connaître la genèse de ses contes et les marques que la guerre des tranchées a laissées sur le jeune Tolkien. L’exposition en parle peu, mais ses paysages les plus torturés (le Mordor, les abords du Morannon, le marais des Morts) et la camaraderie qui lie ses personnages sont directement nés de ce qu’il a vu en France, dans la Somme, à partir de juin 1916. La plupart de ses amis y sont morts. La Seconde guerre mondiale, qui éclate au moment où son fils est en âge de combattre et alors que Le Seigneur des Anneaux est à l’état d’ébauche, tache encore son œuvre de sa noirceur – même s’il ne faut pas voir dans la guerre de l’anneau un simple parallèle avec le conflit de 1939-1945.

Pour la forme, je suis partagée. J’ai apprécié l’équilibre de la scénographie, sobre, plutôt élégante, rehaussée d’espaces plus spectaculaires, comme celui du Mordor, où la couleur rouge sombre fait ressentir le danger de ce territoire et la puissance de l’anneau. Mais je regrette l’absence de hiérarchisation des informations. Plus que voyageuse dans cette œuvre, je me suis sentie transportée d’un fait à l’autre, d’une zone à l’autre. J’aurais aimé que le fil de l’exposition soit plus visible. Je n’ai pas compris comment j’étais passée de la langue des nains aux pouvoirs des arbres. C’est peut-être dû au fait que je n’ai pas tout lu, mais étant donnée la jauge de l’exposition (jusqu’à 390 visiteurs simultanés), c’était à prévoir.

Exposition Tolkien, Voyage en Terre du Milieu © DR

L’exposition est dense. Quand je crois en voir la fin, je m’aperçois qu’elle se prolonge. Ayant pu accéder aux files prioritaires, j’évite la fatigue muséale et peux continuer. Les espaces mettent en scène la vie de J. R. R. Tolkien, l’homme, sa famille, son travail ; une des salles nous plonge dans la Bodleian Library ; on en apprend davantage sur le père, celui qui dessinait pour ses enfants et écrivait des lettres du Père Noël. Les visiteurs passent rapidement, ils s’arrêtent peu. Ils cherchent l’anecdote. Finalement, la seconde partie permet de reprendre pied dans le monde réel. S’il y a une chose que je retiens de cette exposition, c’est que Tolkien est plus qu’un auteur. L’ampleur de son travail ne fait que rendre sa cohérence encore plus remarquable. Il a construit une « mythologie moderne » qui fédère les publics parce qu’elle fait rêver.

Grâce à divers partenariats, Frédéric Manfrin, chef du service Histoire de la BnF, et Vincent Ferré, enseignant-chercheur à l’université, ont collecté plus de 300 documents et construit un dialogue entre les œuvres de la main de l’artiste [2] et les collections patrimoniales de la BnF, complétées par des prêts des musées de l’Armée et des Arts Décoratifs, du Petit Palais et de la Bibliothèque nordique du musée d’Orsay. Quatre tapisseries récemment tissées d’après des aquarelles de l’artiste sont aussi présentées (Bilbo comes to the Huts of the Raft-elves, Rivendell, Halls of Manwë – Taniquetil et Mithrim), surplombant les salles des cimaises sur lesquelles elles sont tendues. « Petite sœur » de l’exposition qui s’est tenue à la Bodleian Library du 1er juin au 28 octobre 2018 [3], l’exposition de la BNF la dépasse du haut de ses 1000m².

Le succès de l’exposition ne se limite pas à son contenu ou sa scénographie, il est dans le pari de déployer l’œuvre protéiforme de Tolkien. Son approche montre ce que peut – doit ? – être une exposition aujourd’hui : un événement éducatif qui s’adresse réellement au grand public. Le petit jeu lancé sur le site de la bibliothèque numérique Gallica témoigne d’efforts en matière d’« accessibilité culturelle » [4]. En tapant « Tolkien » dans la barre de recherche du site, vous partez à l’aventure : en étudiant les documents proposés à chaque étape, vous trouverez la réponse à la question posée et continuerez votre chemin dans le jeu. Une façon ludique, gratuite et intelligente de faire découvrir au visiteur d’autres pièces des collections de la BnF.

L’événement est à la hauteur de l’attente créée par son annonce. Ma seule déception est de n’avoir pu en conserver qu’un souvenir immatériel. Il est impensable que la boutique de la BnF se transforme en stand de foire populaire inévitablement commerciale, mais il est dommage de ne proposer à la vente que des catalogues, des livres et des affiches en petit format. J’aurais aimé repartir avec une reproduction d’aquarelle, un carnet de croquis ou une carte postale qui m’aurait permis de prolonger ce « voyage en Terre du Milieu ».

Mélanie Congès

Exposition Tolkien, Voyage en Terre du Milieu, à la Bibliothèque nationale de France jusqu’au 16 février 2020 (Plein tarif : 11 euros ; tarif réduit : 9 euros)
https://www.bnf.fr/fr/agenda/tolkien-voyage-en-terre-du-milieu


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