Ils viennent des Hauts Plateaux de Madagascar et pratiquent un art populaire chanté et dansé, le Hira Gasy. Invitée par le Festival de l’Imaginaire, juste après une résidence au Collectif 12 de Mantes-la-Jolie, la Koampania Rasoalalao Kavia se produit pour la première fois hors de son île, ces 11 et 12 novembre au Musée du Quai Branly. L’occasion de découvrir un « opéra des champs » qui aborde tous les aspects de la vie du peuple Merina, des inégalités sociales à la corruption politique.
Pendant plus d’une heure, les chanteurs s’adressent au public avec grâce mais sans artifice, le saluant longuement avant de lui parler, dans les termes les plus directs, de politique, d’écologie, de pauvreté, du fléau des viols et d’autres violences. « Nous les humains faisons partie de la nature, notre terre est sacrée, nous devons la préserver / le climat se dérègle, les puits tarissent... »
Trois musiciens, quatre chanteuses et quatre chanteurs-danseurs interpellent un public qui connaît une réalité très différente de celle qu’on vit à Tananarive ou sur les hauts plateaux malgaches. Et pourtant, leurs présences rendent les enjeux (intelligibles grâce aux surtitres) parfaitement palpables. Ils préviennent par ailleurs : « Nous venons de bien loin, mais la distance ne compte pas. » Et certains maux sont si universels qu’on s’y identifie immédiatement, au-delà de l’écologie. La corruption, par exemple : « L’amour de l’argent ne doit mener à vendre la patrie /... / Mais ne désespérons pas, toute injustice à une fin / ... / Aujourd’hui nous voulons la paix ! »
La cadence des chants est enlevée et presque percussive, la gestuelle, dans sa finesse et son élégance, oscille entre celle des chanteurs et celle des orateurs. Les bassins et les pieds swinguent tel le ressort d’une montre. On trouve la même régularité dans l’interpellation directe des spectateurs, placés en bi-frontal, adresse renouvelée tout au long de la soirée, avec des vers comme : « Ne soyez pas distraits, auditeurs de Hira Gasy ! Profitons de notre rencontre ! »
Les messages politiques se réécrivent au fil de l’actualité, d’autant plus que la résidence au Collectif 12 et les représentations parisiennes se déroulent en même temps que le premier tour des élections présidentielles à Madagascar. Certains vers de leurs chants y font directement allusion. Ils évoquent ensuite le rôle de la femme (« Un mot entre nous : Ne te presse pas pour te marier, pense à ton avenir ! ») et le sort des filles : « Une fois enceintes, elles doivent abandonner l’école. » Et pire encore, car beaucoup d’entre elles sont violées dès le début de la puberté et poussées par la honte à tuer leurs bébés non désirés.
Et d’ajouter : « Tout ce discours, cher auditeur, sert à te faire réfléchir. » Si toutes ces redites ne sont en rien dérangeantes, c’est qu’elles sont portées par le charme de la troupe et de leur univers musical. Le spectateur parisien peut par exemple réfléchir au fonctionnement des chaînes alimentaires qui font qu’à Madagascar « les poissons vont disparaître » car « nous bradons notre mer ». Sur l’île, le message en faveur de dame nature est d’autant plus crucial que le public habituel se compose avant tout de riziculteurs et d’éleveurs de zébus.
La conclusion, une sorte de post scriptum, est dansée. Et on comprend mieux les costumes des hommes qui s’inspirent d’uniformes d’officiers de l’armée britannique. Cette danse des hommes est composée de mouvements très écrits, incisifs et presque abrupts. À l’époque coloniale, dont on trouve moult influence dans l’art du Hira Gasy, la danse faisait partie intégrante de l’entraînement militaire. Aussi la danse des femmes, vêtues de robes inspirées de la cour royale, est-elle ici beaucoup plus discrète, douce et musicale.
Thomas Hahn
Au Musée du Quai Branly, le samedi 10 novembre à 18h et le dimanche 11 novembre à 17h