FIC (Réveille-toi !) Jeunesse marocaine survitaminée à haute contagiosité...

Née d’une tradition guerrière, cette acrobatie avec pyramides humaines, roues et sauts, est vraiment un art de cirque, plus que de théâtre. Dans la double dialectique - tradition et création contemporaine, le Maroc (terre africaine) et la France (Europe) - le Groupe Acrobatique de Tanger nous confronte aux extraordinaires sujets du monde d’aujourd’hui et s’inscrit dans le sillage des recherches les plus étonnantes du cirque contemporain. Deux femmes orchestrent cette création, Maroussia Diaz Verbèke. Jeune metteuse en scène et « circographe » (voir le site de sa compagnie) et Sanae el Kamouni, à l’origine de la création du groupe.

Je dois subir ce lundi un geste chirurgical qui marquera la fin d’un long parcours de soins personnel. Je cherche par tous les moyens à occuper intelligemment mon esprit pour le week-end. J’ai initié un rite familial, presque tribal, celui du partage d’une « sortie familiale culturelle régulière ». Cette fois, j’ai proposé l’escapade à des amis et youpi nous sommes neuf, petits et grands, disséminés dans les gradins.

C’est un doux samedi soir d’avril pas comme les autres. Je sens un léger je ne sais quoi dans l’air. Oui, c’est vrai, je suis légèrement obsédée par l’idée de cultiver l’ouverture d’esprit de mes filles. Tu sais comme moi, lecteur, que le geste artistique est un des meilleurs outils pour éveiller la curiosité. J’ajoute que ces temps suspendus dans le quotidien nous permettent de nous retrouver non seulement autour d’un spectacle puis d’un verre, mais aussi d’échanger émotions et opinions. De nous éloigner d’un quotidien trop prosaïque.

Nous sommes au Manège, Scène Nationale pluridisciplinaire de Reims. Je suis attachée à ce lieu, je l’ai déjà expliqué ici. Sens de l’accueil, générosité, éclectisme, diversité sont les mots qui me viennent rapidement à l’esprit pour qualifier ce lieu. Non, non, je ne suis pas endoctrinée ! J’ai pu avoir la dent dure devant des spectacles créés par des intellos égocentrés où la culture de l’entre-soi fait négliger le public.

Ce soir je suis et nous sommes tous complètement embarqués par le sens du collectif de ce groupe ! À la différence d’autres spectacles de jeunes circassiens issus d’institutions reconnues... et formatés malgré eux, FIQ (Réveil toi !) cultive la nécessité du dialogue avec son public. Ces jeunes artistes sont là pour et avec le public. J’imagine que si j’assiste de nouveau au spectacle, il aura changé.

Le public est bigarré. Familles, bobos habitués (j’en fais partie ), circassiens en herbes, couples jeunes ou vieux, adolescents en bande. Incroyable et joyeux mélange dans une salle pleine à ras bord. À la légèreté de l’air extérieur s’ajoute la convivialité. Nous nous sentons tous à notre place. Ici, pas de code de bonne conduite. Pas de silence religieux. Pas de regard panoramique à s’en tordre le cou pour effectuer une reconnaissance faciale dans le public. Nous, public, sommes décontractés et impatients à la fois.

Sensation vérifiée à la fin lors de la rencontre bord plateau (sans les bords, donc c’est encore mieux) où enfants comme adultes osent poser des questions aux artistes ou exprimer des ressentis très personnels sans la distance trop souvent observée. Je découvrirai plus tard que nombreux sont ceux qui connaissent et attendent de pied ferme le cirque acrobatique de Tanger, après deux ans de pandémie.

Pour cette nouvelle création, ces jeunes représentant différentes disciplines artistiques (acrobatie, danse, foot freestyle, break danse, taekwondo), ont été réunis à la suite d’une vaste audition à travers le Maroc pour présenter une collection extraordinaire d’acrobaties, figures, pensées, couleurs, musiques, idées (la place de la femme, l’environnement, la mondialisation entre autres), sketchs, glissades, courses, tabourets, visages, babouches, chorégraphies, tours sur la tête, casquettes, concepts, ou encore citations.

Artistes tous rencontrés dans leurs espaces d’entraînement et de création ancrés dans le réel : plages, rues, places et non pas écoles reconnues. Ami lecteur, tu as l’impression d’avoir à te farcir une accumulation indigeste. Mais c’est là que réside la magie de ce groupe survitaminé. Sur la piste, ils savent transformer avec virtuosité un patchwork de figures et font voler en éclats les habitudes circassiennes pour éveiller esprits endormis et corps endoloris !

FIQ (Réveille-toi !) est une interrogation lumineuse, acrobatique, et une ode tendre, profonde et ludique, à la jeunesse. Quatorze artistes espiègles, facétieux et un brin mutins, portent un regard singulier sur « leur » Maroc et leur vision du monde d’aujourd’hui puis nous l’offrent en partage. Jamais prétentieux ni autocentrés comme parfois le sont par maladresse les jeunes artistes. L’autodérision a ici toute sa place.

Ici, les voltigeurs tissent des liens entre les époques. Les pyramides humaines et les acrobaties circulaires font partie de la tradition guerrière du Maroc. Bien avant les circassiens, il y avait des guerriers en vigie. J’apprends la réputation de ce groupe connu depuis 2004 pour ses époustouflantes pyramides humaines. Incitation à garder l’œil ouvert sur les dérives de notre civilisation ?

Le Groupe acrobatique de Tanger a réussi à inventer un cirque pop, foisonnant et urbain. Les variations de styles musicaux réalisés à vue par le fougueux DJ en lieu et place du traditionnel orchestre, bousculent les codes en mêlant pop, rock, variété, reggaeton et musique traditionnelle marocaine. On en a plein les yeux, mais pas d’esbrouffe. Les costumes et les tapis aux couleurs acidulés créés par le photographe et designer Hassan Hajjaj (Le roi du pop art à la marocaine ! ) renforcent le côté décalé et légèrement transgressif de FIQ.

Alors oui, nous sommes ivres de joie, ébahis et joyeux après une heure trente de cette généreuse créativité débridée. J’en veux encore. Dans mon esprit d’hypersensible la musique continue à tourner et les pyramides humaines s’élèvent encore. Nous finirons ensemble la soirée au bar de la Verrière, portés par l’élan de cette jeunesse exaltée. Heureux d’avoir partagé bien plus qu’un vain divertissement.
Apaisés de voir une jeunesse engagée et décidée à bouger les lignes.

FIQ est un antidote aux angoisses existentielles qui n’anesthésie pas tes inquiétudes par l’abrutissement, mais les sublime pour les changer en pulsion de vie.

J’ai pu affronter cet étrange lundi plutôt sereine, avec la hâte de récupérer de l’énergie pour pouvoir tenter de répondre à une des questions posées durant le spectacle Que peut un corps ? .
Troublante synchronicité, non ? Nous sommes tous un peu de cette jeunesse marocaine en quête de sens et capables d’agir sur le monde avec ou sans tenue aux imprimés kitsch.

Constat après plusieurs semaines : le virus FIQ (Réveille-toi ! ) s’est propagé dans notre groupe. Il est bon de se réjouir des petites étincelles en ces temps troublés.

Encore une troublante synchronicité. Au moment de finir ce texte je tombe sur un article à propos du film de Nabil Ayouch : Haut et fort (2021 ). Jeunesse, révolte et art urbain à Casablanca.

Claire Olivier

FIQ ! (Réveille-toi !) par le Groupe Acrobatique de Tanger.

À voir pour poursuivre l’aventure :

https://groupeacrobatiquedetanger.fr/la-compagnie/presentation

https://www.festivalarabesques.fr/2-uncategorised/226-le-groupe-acrobatique-de-tanger-dans-les-yeux-de-hassan-hajjaj

https://www.youtube.com/watch?v=9L3wEPwVmD4

https://www.youtube.com/watch?v=LjEY6EV8MA4

https://www.youtube.com/watch?v=8JdXsrx0VgU

https://www.youtube.com/watch?v=pdduNpd4NEw

https://www.francebleu.fr/emissions/le-choix-de-france-bleu-perigord/perigord/le-groupe-acrobatique-de-tanger-maroussia-diaz-verbeke-est-a-l-agora-a-boulazac

http://letroisiemecirque.com/

https://www.manege-reims.eu/