Empruntant aux langages du cirque, de la techno et des arts de la rue, de nombreux collectifs s’inscrivent en France dans une démarche “hors les murs”, en installant leurs évènements dans des lieux urbains éphémères. Mais avec le plan Vigipirate, puis la crise de la COVID, tous observent un durcissement des règles de sécurité en matière d’accueil public, sans qu’aucun retour “à la normale” ne soit jamais acté une fois les crises passées. À travers cette tribune, nous appelons à une réflexion commune pour préserver cette exception culturelle française et les collectifs qui la défendent, dans toute leur singularité.
Si ces structures professionnelles disposent des licences d’entrepreneur du spectacle et respectent les règles sociales, fiscales, et d’accueil du public, leurs manifestations s’inscrivent dans la filiation des fêtes alternatives illégales, depuis les sound-systems jamaïcains jusqu’aux block-parties new yorkaises ou aux free-parties européennes : des pratiques festives systématiquement réprimées par les pouvoirs en place, mais où des changements radicaux s’opèrent au niveau des pratiques de création, des normes sociétales, et des représentations. Ces fêtes sont éphémères, ont lieu dans des espaces qui n’appartiennent pas à celles et ceux qui les organisent, et s’inscrivent dans la recherche d’une forme de commun festif. Elles sont encore aujourd’hui perçues comme facteur de désordre, incarnant ce que le géographe Alexandre Grondeau définit comme une « résistance festive » [1] à un monde de la fête encadré et normé, soumis à la marchandisation, et promu par les municipalités comme une nouvelle forme de tourisme ou une ressource économique à extraire.
Dans ces fêtes, on observe un assouplissement des règles et des catégories quotidiennes, et une libération temporaire des normes de comportement. Ce type d’événement propose aussi une alternative aux festivals, avec leur course aux têtes d’affiche et leurs scénographies sans âme, qu’il s’agisse des modes de création et de diffusion des musiques et des spectacles proposés mais aussi de l’accueil des publics, et du rapport aux territoires et aux espaces urbains, dans un contexte de densification et de gentrification où les interstices disparaissent peu à peu, où la tolérance à la différence s’amenuise.
Les recettes de ces manifestations permettent également de créer de l’emploi pour nombre d’artistes, technicien·nes, constructeur·ices, etc. Dans un contexte où l’inquiétude est croissante quant à la précarité de l’emploi dans le secteur du spectacle vivant, notamment en raison du déclin de la diffusion, de la réduction des fonds alloués à la création - en particulier par les lieux labellisés - ainsi que de la diminution, voire de l’arrêt, des dispositifs de soutien provenant des collectivités publiques, l’existence de structures indépendantes nous apparaît comme cruciale.
Mais ce modèle est aujourd’hui menacé. Compte tenu de la densification urbaine des centres-villes, nous préconisons que la recherche de lieux de fête se fasse désormais à l’échelle des métropoles. Cela impliquerait la création de guichets uniques permettant une harmonisation des processus de demande de manifestation sur l’espace public. L’objectif serait d’établir des règles d’accueil communes ainsi que la désignation d’un interlocuteur unique qui accompagnerait les organisateurs tant sur les aspects techniques que sur la communication entourant leur événement, tout en tenant compte des dimensions artistiques et culturelles du projet. Il s’agirait ainsi de s’inspirer de la charte « Droit de Cité », mise en place pour accompagner les professionnels du spectacle itinérant, pour permettre un dialogue entre collectivités locales et organisateurs de fêtes. Cette charte marque la volonté de coopération entre l’État, les collectivités locales et la profession des arts nomades pour améliorer les conditions d’accueil des chapiteaux, dans le respect des normes en vigueur.
Il est temps que l’État et les collectivités locales fassent également la preuve de leur volonté de collaboration avec les organisateurs de fêtes techno, et l’échelle métropolitaine nous semble la plus adaptée pour mettre en place les conditions d’accueil qui font pour l’instant défaut, un peu partout en France. Il nous semblerait judicieux d’assurer une répartition équilibrée de l’accueil des demandes de manifestations festives parmi les différentes communes constituant une métropole. En adhérant à un principe de solidarité, chaque commune serait tenue d’accueillir un certain nombre de ces manifestations.
Notre collectif SweatLodge est un bon exemple de ce type d’organisation et des difficultés auxquelles elles font face. Doté de son propre chapiteau de cirque et d’une identité visuelle marquée, ce collectif est devenu un symbole de liberté et de créativité dans le paysage culturel de l’ouest de la France, et au-delà. Cependant, notre association reconnue d’intérêt général se trouve aujourd’hui confrontée à une situation alarmante. Après avoir autorisé la tenue de l’événement « Sweatlodge Party » les 5 et 6 mai 2023, la mairie de Saint-Herblain (44) a révoqué son autorisation 24 heures avant le début des festivités. Ce revirement nous a laissé sans voie de recours, nous privant de la possibilité de proposer des alternatives pour maintenir l’événement. L’absence de recettes menace désormais l’existence même de notre structure ainsi que tous les projets culturels que nous produisons.
Des initiatives allant dans le sens que nous préconisons commencent à émerger, mais la situation à laquelle nous sommes confrontés est malheureusement emblématique d’une absence de considération qui perdure depuis les premières raves techno des années 1990. Si un collectif tel que le nôtre, avec près de 20 ans d’expérience dans l’organisation de fêtes éphémères, est encore régulièrement empêché d’aller au bout de ses projets, on ne peut que s’inquiéter pour le futur. Des dispositifs d’accompagnement doivent donc impérativement être mis en œuvre afin que de tels dysfonctionnements soient évités, mais surtout pour que les nouvelles générations se sentent légitimes à monter des fêtes hors les murs sans recourir à l’illégalité.
Maël Péneau, cofondateur du collectif SweatLodge, musicien, anthropologue (Centre Georg Simmel), ATER à l’université Sorbonne Nouvelle. jmpeneau[at]ehess.fr
Martin Geoffre, cofondateur et administrateur du collectif SweatLodge, doctorant en études théâtrales à l’université Rennes 2 (APP). martin[at]sweatlodge.fr
Un week-end de rave
Ce week-end et jusqu’à ce matin à l’aube, le Teknival fête ses 30 ans. Dans un contexte où la nuit et la fête sont devenues des moments commerciaux solidement institutionnalisés au cœur des villes, la fête libre s’érige comme une contre-culture.
Avec Alexandre Grondeau géographe, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille.
30 ans, c’est l’âge important que fêtait ce week-end le Teknival et qui se poursuit encore à l’aube ce matin. Depuis jeudi, environ 30 000 personnes ont convergées vers Villegongis dans l’Indre pour organiser dans un champ de la commune une grande rave party et danser des heures au son de la musique Techno. Les centaines de gendarmes qui sont restés présents durant ces quatre jours finissent de contrôler les festivaliers, mais n’ont pas tenté cette fois de saisir le matériel sonore.
Le Teknival est historiquement et originellement une fête libre qui trouve ses racines dans le mouvement punk de la fin des années 70 en Grande-Bretagne. Suite à un certain nombre d’encadrement normatif des fêtes en Grande-Bretagne, un certain nombre de jeunes vont s’organiser pour faire la fête en dehors des lieux traditionnels. La répression va s’organiser au fil des années 80. Un certain nombre de groupes vont partir dans des camions pour sillonner l’Europe et diffuser le mouvement techno.
Lors du Teknival, ce sont aussi les lieux de pouvoir et par extension la ville qui est mise à l’écart. On a une contestation inversée, dans le cas des free party, ce sont des interstices urbains ou des espaces ruraux qui sont investis. Le lieu devient le temps d’un week-end, un espace où un changement radical s’opère au niveau des pratiques et de normes sociétales en vigueur.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-territoriaux
A-t-on perdu le sens de la fête ?
En dépit du déconfinement et de la vaccination, il est probable que la grande fête du retour à la vie post-Covid n’ait jamais lieu. Pourquoi ? Parce que la France a renoncé depuis longtemps à la fête et à tout esprit festif. C’est du moins la thèse défendue par Jérémie Peltier, directeur des études à la Fondation Jean-Jaurès dans son essai La Fête est finie ? (L’Observatoire). Entretien.
https://usbeketrica.com/fr/article/a-t-on-perdu-le-sens-de-la-fete
De Berlin à Barcelone : entre contre-culture et politiques touristiques :
Les territoires de la fête
Berlin, Barcelone, Amsterdam : autant de villes connues pour leurs vies nocturnes, et où l’industrie de la nuit est aujourd’hui florissante. Comment les fêtes changent-elles les villes ? Comment les contre-cultures deviennent-elles des marques et à quel prix ?
À Nantes, comme partout, la fête en danger
La mort de Steve, le 21 juin à Nantes, soulève une question plus générale : comment concilier le droit au repos des citoyens épris de sommeil avec celui, tout aussi légitime, d’autres citoyens à s’éclater en musique ? Nous avons rencontré des acteurs du milieu nantais de la teuf. Tous nous disent qu’il est de plus en plus difficile de s’y livrer sans subir les plaintes du voisinage et l’irruption plus ou moins musclée de la police.
https://charliehebdo.fr/2019/08/culture/comme-partout-la-fete-en-danger/