L’Insatiable a reçu ce message de notre ami Olivier Schneider, depuis Douarnenez, accompagné des poèmes que nous publions ci-dessous avec des images de Fanny Pénin et Mauricio Leonardi offertes par le collectif La Rumeur :
Depuis mars, je ne sais pas très bien quel article rédiger, qui soit à la hauteur de mes questionnements, comme des tiens je suppose. Je t’envoie tout de même cette suite de petits textes qui sont la seule façon que je trouve de répondre à tout cela. Tu peux la glisser dans l’Insatiable, si tu le juges nécessaire, sinon je te la confie amicalement, en attendant que je trouve la distance nécessaire à la rédaction d’un article...
Un enfant ça dessine des visages
pas des fantômes
des sourires des gens
pas des bandeaux bleus
pas des voix qui se taisent
ou qui parlent sans qu’on les comprenne
Un enfant ça n’étouffe pas
sous l’ordre angoissé des parents
un enfant ça sourit
même en temps de pandémie
et ça sourit même
aux gens qui ont peur
des sourires des paroles et des gens
aux gens qui gardent leurs masques
devant un enfant qui leur parle
Un enfant ça dessine des visages
même quand ça n’a plus de visages.
UN ENFANT ÇA PEINT CENT VISAGES
DES NOIRS, DES RONDS, DES CARRÉS
DES PETITS TRESORS D’HUMANITÉ
DES GAIS, DES BEAUX, DES FACHÉS
ET MÊME PARFOIS DES VISAGES
QUI NE RESSEMBLENT À RIEN
ON NE LEUR EN VEUT PAS
ILS NE FONT QUE LES PEINDRE.
J’EN VEUX À CEUX QUI NOUS IMPOSENT
LE MASQUE DE LEUR SOMBRE DEFAITE.
Ils y tenaient à me maintenir en vie
Ils y tenaient contre mon avis
ils ont brisé mes ramures
ils ont coupé mes ramures
ils m’ont éloigné des êtres les plus chers
ils m’ont assujetti à leurs vues
et pour autant ils m’ont privé de soin
car j’étais sans espoir.
Ils m’ont privé de loisir,
du plaisir de voir des amis,
ils m’ont brisé,
et privé de sourires,
du sourire des autres,
puis de mon propre sourire
Ils m’ont interdit les gestes amicaux
qui me rendaient heureux,
interdit aussi le parfum de la nature,
et le chant des oiseaux,
interdit de voir le cœur humain,
et de me joindre avec d’autres,
physiquement,
du questionnement du monde,
il fallait que je vive,
sans voix, sans goût,
sans vie,
avec le dégoût de la vie
Ils voulaient que je vive malgré tout,
comme un corps qu’on objecte -
Alors on m’a gavé de friandises,
de divertissements virtuels,
et d’avertissements en ligne.
J’ai plié la nuque,
j’ai cédé,
mon cœur battait encore,
j’étais prêt à travailler,
pour eux,
qui m’avaient tant donné.
Seul au milieu des sans visages
Je me sens moins vulnérable
J’ai le sourire franc
Je suis dans la dimension du bonheur
de l’échange
Certains se disent
« Il faudrait l’abattre,
ou bien l’éliminer,
car c’est à cause de lui
tout ça,
et c’est à cause de lui, et de ceux-là,
que ça ne finira jamais.
Il faudrait le lui dire,
mais on ne peut pas,
car on ne lui parle pas,
il est – la liberté. »
Un monde sans visages
est un monde où les corps se cognent
où les paroles hurlent et blessent
et où l’esprit s’abaisse.
J’ai vu des enfants en cages,
et je ne m’en remets pas,
même si c’est loin,
mais on sait bien,
que ce qui est loin aujourd’hui
devient tout près,
nous sommes des frères d’indignité,
des complices,
des humains inhumains,
des sadiques -
nous sommes le peuple relié
contrôlé, et masqué
le monstre planétaire.
J’ai vu ceci et cela,
je l’ai vu et le reverrai,
car aujourd’hui le regard
est fait pour accepter,
on s’émeut, mais au fond,
on s’habitue.
Les humains pourchassés,
les enfants enfermés,
les images s’amoncellent
comme les trophées de l’armée
en campagne dans les brousses innocentes -
comme le plus ignoble des conquêtes coloniales.
Mais les colons d’aujourd’hui
vont du virtuel
coloniser le réel.