À partir de Juste un mot, ouvrage récemment rééditéé aux éditions Langage pluriel, je continue à converser avec le sociologue et philosophe Paul Blanquart, notamment sur le théâtre grec des sixième et cinquième siècles avant Jésus-Christ. Cette fois, c’est un peu plus long, Paul nous résume quelques millénaires d’évolution culturelle de l’Occident et d’usage du symbole. Et voilà que notre fougueux penseur s’emballe sur le personnage d’Antigone, dont la richesse signifiante lui tient beaucoup à cœur et qui lui semble particulièrement représentatif de cette période de transition historique où l’on passe en quelque sorte de l’univers des dieux à celui d’une volonté de maîtrise de leur destin par les humains. Cette conversation devient en somme une conférence passionnante où j’ose à peine intervenir (au début du moins). Et nous reviendrons enfin à notre siècle en tirant du voyage quelques leçons utiles. Pour mieux suivre et connaître la pensée de cet homme étonnant de savoir et d’intelligence, on peut se reporter à l’article précédent de L’Insatiable et notamment lire sur le site de la revue en ligne Terrestres, ce texte éclairant intitulé Les aventures du Ciel et de la terre.
Pour tenter de comprendre par quoi nous en sommes passés en Occident pour en arriver à une situation où le matérialisme et le quantitatif détruisent inéluctablement ce que l’humain a d’essentiel, c’est-à-dire la richesse et la puissance de son imaginaire, nous poursuivons ce « libre échange » sur l’importance que peut et doit tenir la fonction symbolique dans une civilisation, en opposition à celles où règnent, comme chez nous aujourd’hui, la quantité et le chiffre, tout en poursuivant notre exploration du théâtre grec... Ce qui amène inévitablement Paul à s’attarder sur l’importante figure d’Antigone, parvenue jusqu’à nous grâce au théâtre de Sophocle.
La civilisation occidentale moderne, celle que nous connaissons, semble s’être principalement construite par la nette séparation de nombreux éléments constitutifs des cultures humaines, (art, religion, médecine, philosophie, sciences, etc.), qui, à l’état d’ébauches pour certains, étaient inextricablement mêlés entre eux, en particulier dans la Grèce archaïque et de ce qu’on appelle l’époque obscure. Si l’on ressent aujourd’hui, dans la plupart de ces domaines, après une longue période de désemmêlement, un besoin de relier à nouveau entre eux des éléments apparemment distincts, ce réemmêlement ne peut se faire que d’une façon très différente, où les croyances religieuses ne sont plus l’élément unifiant et où, notamment dans le domaine de l’art, une nouvelle forme de subjectivité est apparue.
Où, cette fois, nous n’hésiterons pas à passer sans barguigner d’André Breton à Félix Guattari en passant par l’éducation populaire, Picasso, et même Claude Lévi-Strauss et L’Afrique. Autant d’abondantes et abusives digressions au fil de l’eau dans ce libre échange où nous tentons de définir (avec nos différences, sans avoir des pensées absolument identiques, mais bien d’accord sur l’essentiel), la vraie fonction de l’art dans une société saine.
Alors, chers amis, accrochez-vous, voici, pour finir cette séquence, le gros morceau de cette conversation avec l’auguste maître et surtout délicieux ami.