Il y a quelques jours, notre jeune apprentie rédactrice Kamesh Catapoulé se rend au Théâtre Berthelot à Montreuil pour assister à la dernière production du metteur en scène Bernard Bloch, programmée pour quelques représentations seulement...
Le sujet en est un voyage en Palestine et en Israël organisé par l’hebdomadaire Témoignage chrétien, prétexte à une exploration humaine du drame qui se joue là par un Français juif athée et humaniste troublé par la réalité géopolitique de la région. Kamesh ne sait pas grand chose de ce qu’on appelle le conflit israëlo-palestinien et elle ne se sent pas spécialement concernée. Elle découvre, elle apprend, elle écoute les différents points de vue. Et elle cherche. On ne va pas se plaindre que le théâtre retrouve sa fonction essentielle, nous inciter à réfléchir sur le monde !
Après l’ouvrage Dix jours en terre ceinte qu’il lui avait consacré, où les contradictions des uns et des autres se révélaient de façon vive, souvent absurde et parfois paradoxalement assez drôle, Bernard Bloch a fabriqué à partir de son voyage en Cisjordanie et en Israël un moment artistique très simple Le voyage de Dranreb Cholb ou penser contre soi-même. Ce partage d’un témoignage candide qui oscille entre la soirée diapos en famille, le constat d’un désastre historique et le monologue d’une subjectivité sensible et déchirée, est un excellent prétexte à des débats sincères entre gens de bonne foi. Peu de théâtres, nous dit Bernard, ont pris le risque de programmer ce travail qui risque évidemment de provoquer de dures polémiques, d’autant que chaque séance est suivie d’un débat. Ce voyage dans le voyage permet d’ouvrir un certain nombre de questions à partir d’une forme artistique peu ritualisée où se croisent le théâtre et la vidéo. Questions débattues lors d’un échange ouvert après chaque représentation, qui trouvent chaque soir des réponses différentes. Voilà ce que notre amie d’une vingtaine d’années nous dit de ce voyage scénique en compagnie de l’auteur, du comédien Patrick le Mauff et de Thomas Carpentier.
Vivant en France, née à l’Île de la Réunion et d’origine indienne, j’ai grandi dans un monde secoué par des affrontements d’une virulence extrême qui m’ont toujours interpellée dans la mesure où je cherchais à en comprendre les tenants et les aboutissants. Au cours de mon parcours scolaire, le conflit israëlo-palestinien n’a été que très peu évoqué. N’ayant pas a priori de raison spécifique de m’y intéresser, ce drame géopolitique est pour moi resté assez mystérieux. La forme sincère et minimaliste proposée par Bernard Bloch m’a permis d’entendre un point de vue à la fois concret, authentique et questionnant, sur un sujet sensible et complexe dont j’ignore presque tout.
En s’aidant de cartes et d’un « faux » documentaire, reconstruit à partir de rencontres réelles, Bernard Bloch parvient à me faire partager son voyage de six jours en Cisjordanie. Je me suis laissée transporter par son témoignage et la relation de ses rencontres. Ce qui m’a particulièrement impressionnée, c’est la facilité avec laquelle, seul Juif athée parmi vingt-quatre Catholiques et deux Musulmans, il s’intègre et s’adapte à ce groupe. La première question que je me pose, c’est : en quoi ce voyage était-il si nécessaire à ses yeux ? S’agissait-il en quelque sorte d’un pèlerinage, d’un retour aux origines ? Ce qui est sûr, c’est que compte tenu de la gravité de la situation, cette démarche dénote en tout cas d’un courage certain et d’une bonne dose d’humanisme.
Impossible de rester insensible à la sincérité du geste. À la fois pro-israélien et pro-palestinien, Bloch veut tendre vers l’autre, vers chaque autre, en s’efforçant quoi qu’il arrive de porter un message d’espoir et de paix. Mais malgré cet état d’esprit et cette volonté de progrès, j’ai bien peur que la « Fédération d’Isratine/Palestaël » dont il rêve, ne reste qu’une utopie. En dépit (ou peut-être à cause) de mon jeune âge et de ma grande inexpérience en la matière, la résolution de cet inextricable conflit me semble très lointaine, voire inaccessible. Sur scène, Bernard Bloch et Thomas Carpentier échangent quelques répliques avec Patrick Le Mauff qui porte la voix de Dranreb Cholb, anagramme du nom du metteur en scène. Ce procédé d’inversion se retrouve au cœur de son voyage : pourquoi s’est-il rendu en Cisjordanie avant d’aller visiter sa famille en Israël ? Ça démarre par le monologue du narrateur dit par Patrick Le Mauff, dans lequel interfèrent à quelques rares moments Bernard Bloch et Thomas Carpentier. Très vite, le registre du documentaire (notre metteur en scène est adepte du « théâtre documentaire »), est utilisé pour nous faire partager les rencontres qui ont jalonné le périple. Bien que les protagonistes réels n’apparaissent pas dans le film, leurs témoignages ne perdent rien de leur authenticité. Bernard Bloch veut que chacun s’exprime. Mais que cherche-t-il réellement à faire et dans quel but jongle-t-il ainsi entre réalité et fiction ? Sans doute a-t-il simplement cherché à protéger chaque « témoin ». Certains propos pourraient mettre en danger ceux qui les tiennent. Notamment lorsque ce prêtre chrétien affirme que « le problème ce n’est pas les Juifs, c’est le sionisme ! Ce sionisme que le lobby juif promeut dans le monde entier ».
Sans jamais chercher à y répondre, la pièce cristallise les questions centrales de la longue crise israëlo-palestinienne : l’enjeu territorial, les différends religieux, l’espoir de paix, évidemment...
Après le spectacle et l’échange qui a suivi, j’ai surtout cogité sur la dimension religieuse du conflit. D’après son sens étymologique (du latin religere : lier, relier), la religion est censée rassembler les hommes. Comment se fait-il qu’une telle discorde puisse exister entre Juifs, Musulmans et Chrétiens ? Est-ce vraiment une simple affaire de religions ou s’agit-il d’abord d’une lutte de territoires, d’une guerre de pouvoirs, ou encore des trois à la fois ? Mon cours d’« Histoire et société » dans l’école de journalisme où je suis un cursus, m’a fourni une piste de réflexion. En 628-629, lors de la Bataille de Khaybar, Mahomet et ses fidèles ont voulu s’emparer de l’oasis de Khaybar, qui était jusqu’alors habité par des Juifs. Ces derniers furent vaincus. Afin de continuer à exercer leur liberté de culte, ils négocièrent avec les Musulmans en acceptant de leur payer un impôt et de se soumettre à leur pouvoir. De la part d’un prophète, je trouve ça un peu absurde. Bien sûr, il ne s’agit pas de stigmatiser la religion musulmane, simplement de souligner l’absurdité de comportements humains qui prennent la religion pour prétexte....
Alors, puisque la pièce suscite nombre d’interrogations, Bernard Bloch tente d’ouvrir ou d’esquisser quelques réponses au cours du débat proposé après la représentation. Il décide de se confronter au public, conscient qu’il réunira des personnes de sensibilités et de points de vue très différents et que ce sera potentiellement conflictuel. Plusieurs théâtres ont d’ailleurs refusé de présenter la pièce. Le débat auquel j’ai assisté s’est finalement concentré sur la jeunesse israélienne et palestinienne : le processus de paix serait-il entre leurs mains ? J’aimerais croire qu’elles aient la capacité de bousculer les mentalités et de transformer la réalité. En un sens, l’école primaire le permet déjà. En 2004, l’école Gesher al Hawadi voit le jour dans le village de Kafr Qara en Israël. Mise en place par l’association « Main dans la main » (Hand by hand), le principe de son éducation, fondée sur la tolérance, est d’accueillir des Israéliens juifs et arabes. Ensemble, ils célèbrent leur fêtes religieuses respectives et participent donc à une forme de cohésion sociale. Des projets artistiques qui ciblent la jeunesse existent également. Dans le documentaire Dancing in Jaffa de Hilla Medalia, on voit Pierre Dulaine, un danseur britannique d’origine irlandaise et palestinienne. Il a crée un programme de danse « Dancing Classrooms » qu’il applique dans sa ville natale, Jaffa, en Israël, dans lequel il tente de réunir enfants juifs et arabes. Pour l’instant, Israël me semble en mauvaise position pour enclencher quoi que ce soit de pacifique : comment aboutir à une pacification entre les deux états, quand celui-ci est dirigé par un nationaliste belliqueux ?
Kamesh Catapoulé
Le voyage de Dranreb Cholb ou penser contre soi-même, de Bernard Bloch avec Patrick Le Mauff, Thomas Carpentier et Bernard Bloch. Vu au Théâtre Berthelot à Montreuil le 5 mai 2018.
Tournée :
Théâtre du Grand Pavois Avignon
6-25 juillet 2018 / 18h30/ relâches les 12 et 18 juillet
Théâtre d’Auxerre
14 février 2019
TAPS Strasbourg
2-4 mai 2019
crédits photo : Luc Maréchaux