Dans le cadre de son festival jeune public, La Grande Échelle, le Théâtre Monfort dans le 15ème arrondissement de Paris, présentait du 19 au 21 octobre 2018, divers spectacles et animations sur le thème de l’envol dans le Parc Georges Brassens. Je n’ai pu assister qu’à la pièce Leeghoofd « Poème théâtral et musical » par la compagnie flamande Tuning People & kinderenvandevilla.
Le petit dépliant qui nous était remis commence par « La plupart des adultes ont perdu le goût de l’exploration ». Affirmation bien péremptoire dans laquelle je ne me reconnais pas et donc, la première question que je me pose est : « Pourquoi emmener les enfants au théâtre ? »
Est-ce pour :
Éviter de passer un après-midi entier à jouer au Duplo ou au Lego vautré par terre ?
Ne pas se morfondre sur un banc dans le petit jardin de proximité en regardant jouer vos enfants ?
Pouvoir répondre à vos parents ou beaux-parents : « Désolé (e), ce dimanche nous emmenons les enfants au théâtre » ?
Pour divertir vos enfants, enrichir leur culture, nourrir leur imaginaire, les faire rêver, leur faire découvrir un moyen d’expression, d’autres cultures ou juste les émerveiller ?
Si vous les avez amenés voir le spectacle Leeghoofd « Poème théâtral et musical » pour l’une des trois premières raisons, alors tout va bien.
Intérieur avec coin cuisine très en désordre et une grande table au milieu de la scène. Bruit de Velco qui s’ouvre. Un grand pochon de plastique gonflé apparait poussé par un adulte vêtu d’un Jean, d’une chemise à carreaux et de brodequins. Il le fait exploser, le tirebouchonne, le jette.
Face au public, il mâchonne un chewing-gum, gonfle une bulle qui éclate, lui couvre le visage. Il le rassemble, en fait une boule qu’il colle sous la table. Discret mouvement de réprobation dans la salle. Il retire de ses oreilles des bouchons à l’aspect végétal et gesticule jusqu’à la cuisine où il verse une préparation à gâteau dans un moule et la met au four. De retour au milieu de la scène, il se met une énorme boule de polystyrène sur la tête, y colle à tâtons un cercle rouge pour un œil, un morceau de scotch noir tour à tour nez, bouche ou sourcil. Les expressions du visage varient au fil des changements.
Il les enlève, retourne la boule et tire sur une baguette qui dégage un trou. Bouche béante, il remet des yeux. Le gâteau est cuit. Il le fait refroidir au ventilateur. Mais en attendant, il a faim et pèle une banane… enfourne la peau. Les enfants poussent un Oh ! réprobateur. Toutes sortes d’objets suivent la peau jusqu’au contenu de la poubelle dont une couche de bébé souillée. Rot.
Le Oh ! est sonore et horrifié.
Poème théâtral ?
Après moult gesticulations et un jeu avec une soufflerie, des confettis, des ballons de baudruche (Envol ?), il se sert une part de gâteau infect qu’il va vomir dans la poubelle. Suit une séquence avec un énorme ballon blanc que l’acteur met sur la tête, jouant à nouveau sur les expressions du visage. Elle se termine par une projection sur le ballon d’un visage à la Méliès, visage qui se rétrécit au fur et à mesure que le ballon se dégonfle.
Poème théâtral et musical ?
L’accompagnement sonore collait tout à fait à l’action et parfois la guidait.
La Compagnie indique « Leeghoofd : tête vide » mais le dictionnaire donne comme traduction « Tête de linotte » ou « crétin ». La « tête de linotte » évoque un être rêveur, poète qui regarde vers le haut, oublieux des basses contingences matérielles, tandis que le « crétin », front bas et regard vide, avance péniblement. Chacun se fera son opinion sur ce « Leeghoofd ».
Revenons à notre quatrième raison. Le public et en particulier le jeune public, a-t-il enrichi sa culture, nourri son imaginaire, rêvé ? Il n’a certainement pas été émerveillé.
Philippe Meirieu dit que « rien ne peut se construire aujourd’hui en matière d’expérience artistique sans que les personnes aient pu se dégager de leurs comportements archaïques et des coagulations fusionnelles régressives. Pour que l’humain abandonne les borborygmes et les onomatopées… il faut l’"instituer", le faire tenir debout ».
Ce spectacle fait appel de façon démagogique à des « comportements archaïques » et régressifs. Nous sommes hélas tout à fait dans l’air du temps qui glorifie le pulsionnel et la satisfaction immédiate des envies.
Le public était composé de familles avec parents et grands-parents de milieux, m’a-t-il semblé, où la « culture » n’était pas absente. Quelle culture ? On peut tout de même penser que tous ces jeunes trouveront des nourritures ailleurs à la hauteur de leur intelligence et de leurs attentes, réelles même si elles sont encore inconscientes et se réjouir que les milieux qui ne vont pas au théâtre aient été épargnés.
Claire Trebitsch
Vu le 21 octobre au Théâtre Monfort, 106, rue Brancion 75015 Paris.
Leeghoofd Compagnie Tuning People&kinderenvandevilla
Mise en scène : Jef Van Gestel
Jeu : Roel Swanenberg