Artistes et décorateurs d’extérieur...

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Artistes et décorateurs d’extérieur...

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par Nicolas Romeas
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Comme disait Tadeusz Kantor, l’art ne reflète pas la société, il lui répond. Eh bien cette réponse-là, molle, stagnante, impuissante, passive, celle de Christo ou Buren, est très inquiétante : c’est plutôt un symptôme. (Cet article est précédemment paru dans Mediapart).

Il y a les artistes et il y a des décorateurs d’extérieur. En réponse à quelqu’un qui se pose la question de l’objectif visé par Christo, je lance une piste. L’objectif, conscient ou non, est de participer d’une entreprise générale (consciente ou non) d’une société aux mains des ultralibéraux (conscients ou non de l’être) qui consiste à faire perdre à l’art sa fonction de résistance à tout ce qui dénature, appauvrit ou corrompt la vie, en particulier la déshumanisation et la robotisation générale qui ne cessent de s’étendre. Pendant que ces divertissements (divertir c’est détourner de l’essentiel) accaparent l’attention de tous, des artistes authentiques travaillent dans l’ombre, sans grands moyens, à tenter de répondre à l’époque, avec et pour la collectivité humaine. Et pas grand monde ne s’intéresse à eux.

Parfait montage trouvé sur le net sans mention d’auteur.

Il y a longtemps que Marcel Duchamp a démontré clairement et brillamment qu’il est facile de faire passer n’importe quoi pour de l’art, du moment que celui qui le produit s’intitule artiste, que le lieu qui l’accueille soit consacré à l’art et/ou, que ça étonne, mais cet étonnement peut tout à fait être stérile, comme c’est le cas avec Christo ou Buren. Leurs objets industriels qui agissent plus comme des soporifiques que comme des alertes, ne mettent rien en question de ce qui empoisonne nos vies et se coulent facilement dans cette époque, au sens où ils sont conçus comme des produits labellisés. La leçon de Duchamp n’a pas été vraiment entendue et la destruction continue.

Lorsque cette entreprise de démolition sera parvenue à ses fins si elle y parvient, nous ne serons pas loin de la destruction effective de l’humain, c’est-à-dire de cet être doté d’un imaginaire qui agit sur le monde à partir de cet imaginaire. Ici il s’agit d’une incitation à renoncer à mettre en question le réel et à se contenter de l’accompagner et de l’ornementer.

Nicolas Roméas

(Le parfait montage photo circule sur internet sans mention d’auteur)

PS : J’ajoute, pour ceux qui ne comprendraient pas bien le sujet central de mon billet d’humeur, cette petite réponse que j’ai faite à un ami qui me trouvait trop expéditif :

Oui, je suis expéditif, Laurent. Les amusements municipaux de Christo ne m’intéressent en aucune façon.

Ce sont des voiles, oui, des voiles qui voilent en effet la réalité d’un monde de l’art totalement délaissé. Ce qui m’importe, ce n’est pas le nombril de ce pauvre gars qui a voulu se prendre pour un génie, en en imitant caricaturalement le supposé comportement, triste pathologie...

Non, ce qui m’importe c’est que, pendant que les médias ne parlent que de ces jeux inodores et sans saveur qui les ravissent parce qu’ils ne risquent pas de faire bouger quoi que ce soit, ces décorations et ces voiles qui ne nous disent rien que nous ne savions déjà du monde dans lequel on vit, on n’entend absolument pas parler des véritables artistes, ceux qui travaillent dans l’ombre avec peu de moyens et qui savent que l’art ne peut être autre chose que politique, au sens originel du mot.

Si ce qu’on appelle la culture, au sens d’une pratique réellement partagée des arts, n’est pas tout à fait morte dans ce pays, ce n’est pas grâce à ce clown, c’est grâce à des milliers d’équipes valeureuses qui tissent leur toile sans se mettre en avant, et qui savent, elles, que le geste artistique est issu d’un dialogue permanent avec nos contemporains et avec l’époque, pour nous faire un peu avancer dans notre perception du monde et donc nos possibilités d’agir sur lui.

Et pour ceux qui prétendent que c’est de l’art parce que ça fait réagir :

Le but de l’art n’est pas juste de faire réagir, sinon n’importe quelle merde pourrait être considérée comme une œuvre parce qu’elle fait réagir (ce que cette société tend à nous faire accroire). L’objet du geste artistique est d’éveiller la conscience des humains à des questions que la raison raisonnante peine à résoudre, en inventant des langages symboliques. Si l’art peut le faire c’est que ses outils symboliques ne sont pas d’ordre rationnel, qu’il touche sa cible par la pointe de sa flèche qui est l’émotion.

Les Buren, Christo et consorts n’éveillent aucune conscience, ils utilisent l’existant pour se valoriser eux-mêmes et confortent cet existant en mimant le geste artistique. Cette imitation inoffensive de l’art ne peut fonctionner que dans une société où les esprits sont accoutumés à ne plus se fier à leurs propres émotions et à penser que la renommée est certainement due à des qualités qu’on ne perçoit pas, même si rien ne nous touche dans ces productions.

Dans une période de confusion généralisée au profit de l’ultralibéralisme, c’est-à-dire de crétinisation et de robotisation des êtres, il est intéressant d’essayer de comprendre ce qu’est fondamentalement le geste artistique. À quoi correspond-il réellement, que produit-il depuis les origines, dans toutes les cultures ? Qu’en reste-t-il dans une société comme la nôtre ?

De manières différentes, mais dans toutes les cultures, ce que les occidentaux appellent le geste artistique, et qui est concrètement vécu dans celles qu’on nomme "premières" comme des rituels fondés sur des croyances communes, c’est-à-dire un ensemble de symboles partagés par une collectivité, est une réponse à une difficulté collective (ou si on préfère un mystère) vécu(e) par les humains.

Cette réponse, proche de la religion aux origines, est faite de symboles pour la raison que le langage ordinaire n’est pas suffisant pour faire face à ces difficultés.

Il s’agit donc d’un outil qui permet de provoquer des émotions, d’agir sur un part non rationnelle l’être - parce que la rationalité n’y suffirait pas -, mais dont les éléments sont pour autant partagés par tous les membres de la collectivité. Ce qu’on appelle l’imaginaire.

Cet imaginaire n’est pas aléatoire, il n’est pas le fruit du hasard : son vocabulaire symbolique appartient à une culture. À une histoire. C’est pourquoi l’invention de nouvelles compositions à partir de ce vocabulaire commun en inventant à chaque fois des langages, permet d’agir sur les êtres en transformant leur vision du monde à partir de ce dont ils sont constitués. On peut capter ce processus dans un certain nombre de films de Jean Rouch par exemple, dont Les Maîtres fous.

Par ailleurs si on veut des exemples contemporains d’artistes qui aujourd’hui travaillent vraiment avec les difficultés de leurs contemporains, j’en citerai au moins un : Thomas Hirschhorn.

Les lecteurs qui penseraient que je ne développe pas ici suffisamment mon point de vue sur le rôle du geste artistique dans les sociétés humaines trouveront ici un résumé de ma pensée.



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