« LE THÉÂTRE, C’EST UNE FICTION »*

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« LE THÉÂTRE, C’EST UNE FICTION »*

« Avignon, c’est une sorte d’hystérisation du théâtre »*
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La distribution par la poste du programme du festival IN d’Avignon est un moment rare et attendu chaque printemps par quelques milliers d’européens.

Sa lecture prend une bonne journée avant d’y voir clair ! Rien n’y est écrit pour transmettre une idée simple, si ce n’est le lieu et l’heure de la représentation.

Ce gouffre de signifiants est un « marronnier » de langue de bois, un symptôme de la désinformation soft ambiante, une transposition contemporaine de préciosités ridicules, un trou sans bord dans la pensée du théâtre.
Même la page austère des logos est un papyrus à déchiffrer.
A cette occasion, saluons l’entrée de TOTAL parmi les financeurs du festival.
 Et intéressons-nous à la couverture.

Pleine page, elle accueille une photo non signée, a priori banale, techniquement médiocre (on comprendra plus tard la méprise), sale ou brouillée, peu informative. Objectivement nous voyons un petit garçon en culotte courte avancer précautionneusement sur une route trempée.

Quel rapport avec le théâtre ?

« Il y a des gens qui ont des réflexions sur le théâtre ». *

Autant le dire tout de suite : il y a embrouille.

La lecture du générique de la publication nous apprend que la photo de couverture est de Kiripi Katembo Siku, photographe congolais qui cadre souvent ses sujets dans des flaques d’eau captant une sorte d’envers de la réalité en marche. Présentement, il faut regarder le bas de la photo pour saisir l’amorce du vrai pied du gosse.

Après enquête sur internet, j’ai retrouvé la photo originale sur le site Kinshasa stadt der bilt.
Le choc ! Elle est sublime.

Titrée Naître et Survivre, elle fait partie d’une série de photos prises à Kinshasa.
Il s’agit donc d’un gosse africain probablement pauvre.
Mais, grosse surprise : la photo originale a été modifiée. Du rouge a été incrusté dans le T shirt du gosse lui donnant une allure de petit chaperon rouge des temps modernes.

Plus grave, la photo originale a été tronquée des 50% qui lui donnaient toute sa beauté et son sens !
Enfin dernier outrage, la photo est basculée de droite à gauche pour répondre à cette antienne qu’en pub une image se lisant de gauche à droite, tout doit aller dans ce sens. Cette photo d’artiste a donc été vendue avec l’autorisation (ou à condition) d’être modifiée.

Nous sommes témoins d’un flagrant délit d’altération d’œuvre d’art, modification d’information, détournement de sens, trafic de formes et de couleurs, déni du statut d’auteur.

Ce procédé rappelle celui qui nous avait fait hurler d’indignation à la vision de la photo de couverture du pré-programme 2004 (heureusement non reprise par la suite) : une femme SDF tatouée d’un code barre !

« Moi, je ne connais que des gens qui sont des professionnels de la profession

 ».*

On pourrait continuer la déconstruction page après page**. Je n’en ai bien sûr pas la place ici et c’est assez pour ce que je voulais dire, à savoir qu’au Lieu mythique de Jean Vilar et de René Char, la captation du festival par des communicants, des producteurs, des programmateurs, des publicitaires détourne tout projet artistique de sa finalité première d’être un acte libre, individuel, puissant, maitrisé, intègre, adressé.

Et qu’un artiste comme Kiripi Katembo Siku soit contraint de vendre « le cœur retournée de son œuvre » plutôt que l’œuvre entière en dit long sur le pourrissement moral et intellectuel de commanditaires tout puissants.

Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey, les invités de Hortense Archambault et Vincent Baudriller se tordent de rire devant l’affiche du festival représentant un enfant pauvre d’Afrique.

Comme lecteur et client, nous sommes destinataires d’une imposture généralisée où page après page l’invention de destins d’artistes le dispute à la réévaluation de l’histoire contemporaine du théâtre. La plus grosse étant celle qui sous couvert de valoriser la venue (légitime ça va de soit) d’artistes africains justifie la pénétration du festival par TOTAL le mécène africain.

Odieuse pilule à avaler au même titre que les lapalissades d’un Jérôme Bel à qui sont confiées les clés de la prestigieuse Cour du Palais des Papes.

« Il ne peut pas y avoir de représentation théâtrale sans spectateurs ».*

Fort de cette pensée profonde, nous allons assister à un événement en forme de renversement là aussi : 16 spectateurs vont « faire le spectacle » en venant sur scène raconter leur expérience de La Cour. On leur souhaite bien du plaisir ! Je veux dire aux vrais spectateurs. Triomphe du « théâtre pour chacun », exhibition de l’expérience intime, victoire de l’entre soi, hystérisation de la pratique du spectateur, enterrement définitif du théâtre dit populaire : « Nous sommes tous des Christine Angot ».

Madame et Monsieur les organisateurs, attention aux passages à l’acte et aux décompensations !

« Qu’est ce qui reste du théâtre ? »*

A lire le programme du IN, on devrait être rassuré : la relève masculine est assurée.
Coté OFF plus de 1200 spectacles en compétition : « Heureux les simples d’esprit car le royaume du libéralisme est à eux ».

Non, ce qui reste du théâtre était peut être tout simplement à lire ailleurs, du coté de Roland Garros : "Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better" *** tatouée à même le bras gauche du joueur de tennis suisse Stanislas Wawrinska.

Bruno Boussagol

* Toutes les citations sont extraites d’interviews de Jérôme Bel répétées au moins 2 fois dans 2 interviews différentes.

** Je propose que des étudiants en sémiologie se lancent dans le décryptage des programmes de Scènes Nationales, Centre Dramatiques et autres festivals prestigieux.

*** Traduction : "Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaye encore. Échoue encore. Échoue mieux." Samuel Beckett dans CAP AU PIRE.



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