De la cave au grenier, un hôpital dans tous ses états

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De la cave au grenier, un hôpital dans tous ses états

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par Marie Crouail
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Comme tous les jeudis, je me rends au Centre hospitalier Saint Jacques des Andelys.
Comme tous les jeudis, j’y retrouve Dominique qui écrit des chroniques sur nos rencontres avec les résidents et les membres du personnel.

Aujourd’hui, Margo nous a rejoint avec sa caméra pour filmer les premières images d’un documentaire que nous sommes en train de réaliser sur l’action artistique que nous menons afin d’accompagner le transfert de l’hôpital vers de nouveaux espaces à venir, à l’horizon 2020. La mémoire ayant parfois des ratés, il est important de fixer les images de ce lieu qui bientôt connaîtra une autre vie. Un projet est à l’étude pour qu’il devienne le futur musée et centre d’étude dédié à Nicolas Poussin et à la peinture du XVIIème siècle. Ce projet est rendu possible en partie, grâce à une donation de Pierre Rosenberg sur sa collection Nicolas Poussin.

Aujourd’hui sera un jour aventure. Un jour sans fin. Un jour de découvertes, de rencontres, de promenades, de cavalcades dans le dédale de l’hôpital Saint Jacques. Pour guides, Yvonne et ses errances, Sam et sa mémoire vivante, et toujours, omniprésentes et discrètes à la fois, toutes ces femmes qui distribuent soins, jus d’orange et bonne humeur inaltérable.

Yvonne dans sa maison.

Yvonne, pimpante et émue comme une petite fille qui se préparerait à son premier spectacle de fin d’année, nous attend.
« J’ai mis ma dent de devant  précise-t-elle à Margo. C’est mieux pour le sourire. »
Yvonne pose d’emblée devant la caméra comme pour une photo de famille.
C’est l’une des plus anciennes résidentes, Yvonne. Elle est là depuis 40 ans.
D’abord côté hôpital et maintenant côté maison de retraite. Elle a donc vécu plusieurs résurrections. Comme celle de la rotonde devenue aujourd’hui salon – salle à manger. Elle nous raconte qu’en 1977, lorsqu’elle est arrivée, c’était une salle commune de 30 lits. Elle se souvient même de l’emplacement exact où était le sien à l’époque. À grand renfort de gestes, de pirouettes, de volte-faces, elle nous décrit le lieu. S’arrête, oublie. Puis se rappelle de nouveau que d’un côté il y avait les hommes, de l’autre, les femmes, que tout se faisait dans la même pièce, manger, dormir, bavarder. Et que c’était pareil à l’étage du dessus.

Il faut dire qu’Yvonne fait partie des quelques résidents gratifiés d’un petit pécule pour l’aide aux tâches ménagères. Dans le temps, elle aidait à préparer le linge, plier, repasser, faire les lits. Aujourd’hui, elle aide à dresser les tables pour les repas.

Ce matin, elle nous fait la visite, à sa façon, de ce lieu qui est sa grande maison.
Elle joue son rôle de pilote avec le sérieux d’un chevalier en quête du Graal.
Et Margo devenue le roi Arthur, a droit à toutes ses confidences. Celles d’aujourd’hui et celles hier. Ça se télescope un peu, ça se prend les fils dans la chronologie, qu’importe. Yvonne nous emmène, nous promène. Et nous la suivons dans les longs couloirs de la bâtisse.

Nous montons au premier étage, nous traversons un long couloir qui rappelle bien celui d’un hôpital. Nous croisons les petites blouses blanches qui nous saluent gaiement. Et puis soudain dans l’encoignure, un étroit passage qui longe une chapelle. Tous les mercredis il y a l’office nous dit Yvonne. J’aime bien y aller…
Et tandis que nous observons la hauteur vertigineuse qui contraste avec l’exiguïté du lieu, Yvonne mime le rituel de l’office.

La vue plongeante donne l’impression qu’ici, tout a été miniaturisé : les chaises, les prie dieu, l’autel et la chaire conçue pour un enfant de chœur. Le silence minéral cousu de fraîcheur enveloppe chaque objet. Nous regardons la voûte où s’agglutinent des évaporations de souvenirs, de regrets, de rêves inaboutis, d’histoires effilochées.

Nous poursuivons notre randonnée hospitalière avec Yvonne qui cherche maintenant à retrouver une petite cuisine. En guise de cuisine, nous tombons sur une minuscule salle de repos dans laquelle des aides-soignantes savourent, le temps d’une pause minuscule, un café. Yvonne ne s’est pas trompée. C’était bien avant, jusque dans les années 80, la cuisine des résidents. L’Hôpital Saint-Jacques a vécu tant de mutations qu’il est difficile de ne pas s’y perdre.

Yvonne nous entraîne dans sa chambre, ouvre ses tiroirs, les renverse sur son lit, et dans le fatras de photographies et de cartes postales, ce sont autant de souvenirs qui remontent, fusent, mélancoliques ou joyeux. Yvonne est un kaléidoscope. Les couleurs chassent le noir et blanc… Nous en profitons pour retrouver celles du dehors et finissons notre entretien sous la tonnelle, dans le jardin.
Douceur et quiétude. Yvonne s’apaise, plisse un peu les yeux jusqu’à les fermer totalement pour profiter de la chaleur du soleil.

Sam et la chambre bleue

Il est temps pour nous maintenant de rejoindre Sam, le gars de l’atelier, pour une autre visite. Celle des endroits les plus insolites, de la cave au grenier.
L’Hôpital Saint Jacques est une énigme. Un château de contes de fées, avec remparts, donjon, et portes dérobées. Un théâtre insolite aux coulisses multiples.

Il y a vraiment quelque chose de pas commun ici qui est directement lié au bâtiment.
C’est comme si, d’un seul coup, au détour d’un couloir ou d’une porte, on était ailleurs. Et voilà que justement, nous passons devant une énorme porte dont le loquet, proportionnel, rappelle celui qui obstrue la maison de l’ogre. Nous jetons un œil par la serrure et découvrons la route et sa cohorte de bruissements extérieurs.

Sam connaît les lieux mieux que quiconque. Avant, explique-t-il, ici c’était aussi une maternité. « La preuve. J’y suis né ! » Et de nous montrer la fameuse « chambre bleue », laquelle a viré au blanc, où il poussa son premier cri.

Puis il nous faut imaginer, avant que de grimper au grenier, ce à quoi pouvaient bien ressembler les escaliers dérobés enlevés dans les années 80.
« C’est par là qu’on grimpait les gamelles pour les repas. Dans le temps, on faisait un peu tout, ce n’était pas organisé comme aujourd’hui. On allait chercher les gamelles en cuisine Il n’y avait pas de chariots... On portait les sacs de linge sur le dos. On faisait le repassage, les carreaux, le ménage. Et on lessivait les tommettes qui recouvraient le sol une fois par semaine. »

Ali Baba, la caverne et ses archives

Et d’escalier en escalier, nous arrivons au fameux grenier, qui tint lieu lui aussi de dortoir, il n’y a encore pas si longtemps. Entre des poutres massives, nichée au cœur du dôme, une immense cloche nous rappelle la fonction première et religieuse de ce lieu. Ce qui amène Sam à nous faire redescendre au pas de course les trois étages pour nous montrer une autre cloche dans la cour, celle dite du percepteur dont le grelot signifiait l’heure de la remise des paies. Puis nous rejoignons l’antre de notre narrateur. Véritable caverne d’Ali Baba, l’immense pièce voûtée recèle quantité d’objets et d’outils. Avec l’air de celui qui n’en a pas fini avec son goût pour l’intrigue, Sam nous emmène de nouveau dans la rotonde, ouvre une porte jusqu’alors invisible, et nous fait pénétrer dans le musée secret de l’hôpital. Et nous découvrons stupéfaites, entassés là, toiles, objets et mobilier anciens, armoiries…

Tel un archiviste féru d’anecdotes, il nous raconte l’histoire de l’Hôpital Saint Jacques. Il y a ce qui est. Mais aussi ce qui fut.
Au XIIIème siècle, l’hôtel Dieu Saint Jacques fut d’abord une halte accueillant les pèlerins qui se rendent sur la route de Compostelle. Il est alors dirigé par un prieur.
En 1366, il devient une fondation royale qui accueille tous les indigents.
Dès1636, il sera dirigé par des sœurs.
A la fin du XVIIIème siècle, le duc de Penthièvre, petit fils du roi Louis XIV, devenu seigneur des Andelys, fait reconstruire l’hospice qui était délabré, selon les plans de l’architecte Gambier. L’ancien édifice est détruit en 1781 et l’inauguration du nouvel hôpital a lieu en 1785.
En 1945, l’hospice des Andelys se voit doté d’un personnel laïque.
En 1964, il est classé monument historique.
Au cours des années 1980, l’hôpital est « humanisé » et agrandi. Les dortoirs sont supprimés, ce sera dorénavant des chambres, de trois, de deux et quelques-unes individuelles.

Le Centre hospitalier Saint Jacques est aujourd’hui un établissement public de santé.
Thérèse embauche mais n’a pas de quoi payer. L’après-midi, comme tous les jeudis, nous reprenons le rythme des entretiens individuels avec les résidents. J’endosse la figure de la liseuse en bord de Seine. Je leur lis des histoires et les invite à se remémorer des lieux et des souvenirs qui y sont associés. On parle de maisons, d’exode, de villes, de voyages, de déménagements. Dominique et moi, les accompagnons à se raconter, à construire à leur tour leurs propres récits.

Thérèse ne nous attend pas. Elle n’attend rien, Thérèse. Elle a posé sur son visage le masque de l’en-dedans. Thérèse nous regarde franchir le seuil de sa chambre et plisse les yeux. 
- « Vous voulez montrer que les gens ne sont pas oubliés ? »
 
Nous retenons nos respirations. Margo tout doux prend sa caméra et Thérèse, pavillon 2, unité Alzheimer, ôte son masque .
- « Je peux tout raconter. Il n’y a pas d’indiscrétion. Je vous embauche comme lectrice mais je n’ai pas de quoi vous payer » .
- « Avec vos mots, alors ?
 - Oui. Sauf les gros… »

Marie Crouail



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